Destitution du Président de la République : la peur du vide ?

La question – ô combien d’actualité – de la destitution de Macron vue par AndreaFichot sur son blog Mediapart. J’y ajoute une citation de De Gaulle [ci-dessus] montrant que le sort d’un président failli n’est pas seulement l’affaire des députés.


Les députés des oppositions pouvaient juridiquement « aller chercher » directement le Président de la République. Ils ont préféré tirer sur ses commis.

« Quand les blés sont sous la grêle, Fou qui fait le délicat ! » Ainsi André Chassaigne a ouvert son discours au soutien de la motion de censure du 31 juillet dernier pour proposer le renversement du Gouvernement Philippe à la suite de l’affaire Macron-Benalla.

Tout comme les femmes et hommes communistes coincés dans une galaxie poétique en deuil depuis la disparition de Monsieur Triolet, les députés d’opposition semblent condamnés inlassablement à pousser le rocher de la motion de censure en haut de la colline de Matignon en sachant pertinemment qu’il en redescendra.

Mais ce jour-là, André Chassaigne fut le premier à esquisser une tentative de sortie de cette boucle infernale, sans doute en réponse à la foucade jupitérienne « Qu’ils viennent me chercher ! ». Je le cite, in extenso :

« Certes, la Constitution de la Ve République est particulièrement protectrice – et il le sait – à son égard, puisque, selon l’article 67, « le Président de la République n’est pas responsable des actes accomplis en cette qualité ». Une irresponsabilité de principe qui ne saurait omettre l’hypothèse évoquée par l’article 68, lequel prévoit : « Le Président de la République […] peut être destitué […] en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat. La destitution est prononcée par le Parlement constitué en Haute Cour. Dès lors, si les diverses enquêtes ouvertes devaient montrer que les actes commis par Emmanuel Macron constituaient un « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat », il appartiendrait à la représentation nationale de s’interroger quant à l’opportunité d’enclencher cette procédure de destitution. Le fait, notamment, de ne pas avoir directement ou indirectement demandé à saisir le procureur de la République, comme l’y obligeait l’article 40 du code de procédure pénale, pourrait fonder ce manquement. »

Alors que les députés de la majorité n’avaient cessé d’interrompre André Chassaigne, le silence se fit dans l’hémicycle devant cette sourde menace qui confine quasiment au crime de lèse-majesté. Le réalisateur cadra alors sur Le Premier Ministre qui esquissa un sourire contrit comme pour conjurer l’incantation.

Car comme le rappelait André Chassaigne, depuis la révision constitutionnelle de 2007, le Président de la République peut être destitué de son mandat pour une raison autre que la haute trahison, objet juridique non identifié porté alors par une loi constitutionnelle de 1875, qui semblait toutefois  aux yeux de tous circonscrire la responsabilité du Président de la République à une intelligence avec une puissance étrangère. Le cas s’était relativement restreint depuis que les chefs de l’État en France n’étaient plus cousins avec des têtes couronnées européennes (encore que l’affaire Khadafi, si elle avait été mise à jour pendant la présidence Sarkozy aurait pu constituer ce cas de destitution).

Le manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat est une notion beaucoup plus large que la haute trahison et aussi beaucoup plus floue. En droit pénal, une telle infraction violerait le principe de légalité des délits et des peines, car elle ouvrirait un large pouvoir d’appréciation arbitraire au juge pour dire ce qui est un manquement au devoir manifestement incompatible. Nous ne sommes toutefois pas en droit pénal, mais en « droit politique » en ce qui concerne le Président en exercice.  Il n’y a évidemment aucune jurisprudence sur ce point et les parlementaires de 2007 avaient tous souligné le risque d’instrumentalisation politique de cette procédure dans les discussions en séance.

Évidemment, la destitution du Président de la République ne peut être prononcée que par le Parlement constitué en Haute Cour aux deux tiers de ses membres. Il faut donc un large consensus transpartisan pour destituer le Président de la République, sans doute poussé par une pression médiatique accrue.

Les troupes marchiennes ne s’étant pas débandées à l’Assemblée Nationale et ralliant le blanc panache du Président de la République malgré la gravité des faits, il était donc certain qu’une telle procédure de destitution, tout comme la motion de censure du 31 juillet n’aurait pas touché au but.

Néanmoins, les députés des oppositions expliquaient que cette motion de censure était importante pour que le Gouvernement vienne s’expliquer devant la représentation nationale.  Le gouvernement a donc du en effet venir s’expliquer d’une dérive pour laquelle il n’est aucunement responsable. Hormis le ministre d’État Collomb qui a commis le pire crime qu’un ministre de l’intérieur puisse commettre, celui de n’être au courant de rien, ni le Premier Ministre Philippe, ni la Garde des Sceaux Belloubet n’étaient directement ou indirectement impliqués dans les faits.

Pourquoi alors les députés se sentent-ils obligés d’en passer encore et toujours par le filtre du Premier Ministre dont le statut est, de président en président, sans cesse amoindri, et ce malgré les qualités de l’actuel preneur du bail à Matignon ?

Car il faut lire la loi organique n° 2014-1392 du 24 novembre 2014 portant application de l’article 68 de la Constitution :

« La décision de réunir la Haute Cour résulte de l’adoption d’une proposition de résolution par les deux assemblées du Parlement, dans les conditions fixées par l’article 68 de la Constitution.

La proposition de résolution est motivée. Elle justifie des motifs susceptibles de caractériser un manquement au sens du premier alinéa de l’article 68 de la Constitution. Elle est signée par au moins un dixième des membres de l’assemblée devant laquelle elle est déposée. »

La proposition de destitution du président de la République doit donc être portée par le même nombre de parlementaires que pour une motion de censure. Pourquoi en ce cas n’avoir pas fait ce choix puisqu’il était clair que les turpitudes en cause ne concernaient que l’Élysée à l’exclusion du gouvernement ? Puisque la notion de manquement de l’article 68 de la Constitution est floue, pourquoi justement ne pas la préciser en créant une jurisprudence ? La violation délibérée de l’article 40 du Code de procédure pénale, le cautionnement du premier jalon d’une police parallèle constituent-ils un tel manquement ?

Faut-il le rappeler encore, la limitation du droit à signer une proposition de destitution à une fois par mandat présidentiel a été censurée par le Conseil constitutionnel dans sa décision 2014-703 DC du 19 novembre 2014. Rien n’empêche donc d’attaquer tous azimuts (Alexandre Benalla, Alexis Kohler, les travaux somptuaires de la piscine etc…)

Une proposition de résolution détaillant les griefs contre le Président Macron aurait mis une pression considérable sur les députés de la majorité et sur le Président lui-même. Essuyer les plâtres d’une procédure jamais utilisée, même avec une majorité dévouée, est toujours ce que Bismarck appelait un « impondérable ».

« Quand les blés sont sous la grêle, Fou qui fait le délicat ! ». Délicatesse en effet de tirer à blanc sur le Premier Ministre quand vous avez toutes les possibilités juridiques de viser le vrai responsable.

=> Source : AndreaFichot, blog Mediapart

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