Quand arrive le samedi soir, je deviens leur punk à chien, par Kevin Bvs

Je suis un mec lambda. J’ai 31 ans, suis ingénieur depuis bientôt 10 ans. J’ai fait des études, j’ai obtenu mon bac avec mention. J’ai un poste de cadre, je paie mes impôts, je fais des heures sup, je paie mon loyer, je vais au supermarché faire mes courses, je paie mes factures d’eau, d’électricité, je cotise, je vais voter. Pendant la semaine, je suis vu comme un citoyen modèle qui participe activement à la vie en société.

Je pourrais être ton fils, ta fille, ta cousine, ton neveu, ton voisin

Mais quand le samedi soir arrive, je deviens leur “punk a chien”, leur “déchet”, leur “dégénéré”, je fais partie de ce “ramassis de drogués et d’alcooliques” qui fait tant couler l’encre des journaux ces temps-ci. Je pourrais être ton fils, ta fille, ta cousine, ton neveu, ton voisin, je fais partie de ce mouvement aussi vieux que moi. Je suis teufeur.

Le samedi soir, je ne vais pas dans ce club où tout le monde va. Où on te demande d’être bien sapé, bien coiffé, bien rangé, où on te taxe de 10 € le droit d’entrée, où on te rackette encore 10 balles pour un verre de bière coupé à l’eau. Je préfère aller dans un champ, dans un bout de forêt où dans une friche industrielle assister à un spectacle de son et lumière éphémère qu’une poignée de jeunes s’est cassé la tête pendant des mois à mettre sur pied bénévolement. Je préfère écouter un son qui me met en transe, qui me donne envie de tasser la terre sous mes pieds plutôt que les “tubes de l’été” aseptisés que fait passer en boucle le DJ du club. Je préfère me retrouver assis dans l’herbe, au petit matin, à m’émerveiller avec mes potes devant les paysages des monts d’Arrée plutôt que d’attendre la fermeture de la boîte pour me faire jeter par le videur et assister, hagard, à la parade des mecs bourrés. Je préfère rester dormir sur place dans mon camion plutôt que de prendre le volant ou de payer un taxi pour rentrer chez moi a 6 h du mat’.

Je fais partie des gens qui étouffent et qui ne vivent plus depuis un an et demi

Enfin je fais partie, comme toi, de tous ces gens qui étouffent et qui ne vivent plus depuis bientôt un an et demi. Mais je n’aime pas le foot, alors je dois rester chez moi. Pas le droit de retrouver mes potes, pas le droit d’écouter ma tekno. Alors oui je suis comme toi qui brave le couvre feu pour rentrer de chez tes amis, comme toi qui quittes Paname pour aller t’aérer en Bretagne malgré le confinement et même comme toi le ministre hypocrite qui participes à tes dîners mondains organisés par tes relations bourgeoises au-dessus des lois. On a tous fraudé d’une manière ou d’une autre ces temps-ci. Face à de telles mesures liberticides, plus personne n’est innocent.

Ce weekend, j’ai vu des images où mes semblables, des citoyens modèles comme moi, dégénérés à leurs heures perdues, se font matraquer, gazer, voler, mutiler. J’ai vu les hordes macronistes brandir leurs marteaux, frapper les platines et faire tomber les murs de son dans l’illégalité la plus totale. Et je me rappelle des gros titres lors des émeutes à Hong Kong. Où les manifestants pro-démocratie recevaient les louanges des médias français pour leur courage face à la tyrannie du pouvoir en place. Mais lorsque la tyrannie s’invite chez nous, là, silence. C’est de la tyrannie “soft”, de la tyrannie autorisée, sponsorisée par nos impôts.

Le déchaînement de violence à l’encontre de notre mouvement ce weekend ne changera rien à mes habitudes. Demain, je continuerai d’aller en teuf. Je continuerai de descendre dans la rue, de recouvrir les affiches du FN (pardon, du RN, c’est plus fédérateur, ça plaît plus aux jeunes à ce qu’il paraît) de messages antifascistes et libertaires et je continuerai de questionner l’ordre établi, de contourner les lois pour respirer, pour oublier mon quotidien morose, pour raver.

La fierté d’avoir participé aux derniers souffles de liberté d’un pays en train de crever

Un jour, je partirai, mais d’autres prendront ma place. Ils n’aimeront peut être pas la Tekno, n’iront peut être pas dans les champs, mais ils seront là pour défendre nos valeurs. Je souris en pensant qu’il y aura toujours quelqu’un pour mettre un caillou dans la botte du Pouvoir. Car si tout le monde rentrait dans le moule, si tout le monde marchait en rangs, la société serait stérile. Il n’y aurait pas de rock, c’est la musique du diable. Il n’y aurait pas de rap, c’est la musique des gangsters, pas de reggae, c’est pour les fumeurs de joints et pas de tekno, c’est pour les punks a chiens.

Donc, ce weekend on a pris des coups, on a un genoux a terre, mais on se relèvera pour faire ce que l’on fait de mieux : taper du pied.

Et si nos kicks arrêtent un jour de faire vibrer les campagnes, on gardera en nous la fierté d’avoir participé aux derniers souffles de liberté d’un pays en train de crever.

1312. Rave On.

Kevin Bvs (via Facebook)

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Un voyageur à domicile en quête d'une nouvelle civilisation.