S’occuper pendant les années d’occupation (pour ne pas mourir)

Les années d'occupation

Après l’émoi causé par l’effondrement brutal de tout ce qui faisait notre quotidien, nous voilà entrés dans les années d’occupation, mornes, interminables. Le pays est raplapla, au point mort dans tous les sens du terme : économique, social, politique, sanitaire, culturel, moral…

On sait que l’occupant est là, mais on ne le voit pas. Sauf sur les plateaux-télé. Ou derrière les vitres noires d’un cortège officiel passant à toute allure tel un fuyard. C’est à peine si on rencontre les cerbères de sa police politique censés faire respecter ses consignes de sécurité : couvre-feu, masques obligatoires, zone libre de 10 km de rayon… Comme si les forces d’occupation avaient elles aussi perdu la main. La seule chose qui étonne, c’est que tous ces prédateurs soient encore là, encore aux manettes du pays. Limite encore vivants.

Une résistance aux abonnés absents

Problème, on ne voit pas trop la résistance non plus. Ça gueule sur les réseaux sociaux, d’accord, mais sans plus, de façon de plus en plus sporadique, de plus en plus convenue. Pire, inoffensive. Comme la campagne fébrile qui agite le dernier carré des militants pour ce qui risque fort d’être l’ultime spectacle grabataire des pseudo-démocraties : la présidentielle 2022.

Depuis que je suis en âge d’y participer, j’en suis à ma neuvième édition. Et pas une, mais alors pas une qui ait changé quoi que ce soit au long déclin de mon pays, entamé dès la proclamation de la 5ème République. Ah, pour les promesses (appelées aussi « programmes »), ça y va ! Pareil pour les “appels à l’union”, pour “faire barrage à”, pour “ne pas faire le jeu de”… Mais rien. Le seul évènement qui ait un peu secoué la France pendant toutes ces années fut un soulèvement impromptu, en mai 1968, qui fit sentir son influence trente années durant, sans même se payer le luxe de passer par une victoire électorale.

Bouger, ne pas laisser son corps et son esprit se scléroser par trop d’inactivité

Le peuple ? “El pueblo unido”, qui paraît-il, “jamas será vencido” ? Dans les choux, sonné, hagard, masqué, attendant son improbable libération par des vaccins douteux, remèdes de charlatans à échelle capitaliste… Bref, un peuple littéralement déguenillé, en pleine traversée d’une sorte de nuit et brouillard pâteux.

Bouger ! Surtout bouger ! S’ébrouer ! Ne surtout pas laisser son corps ou son esprit se scléroser par trop d’inactivité prolongée. Moi, c’est la création d’une maison d’édition sortant un peu de l’ordinaire. D’autres, je sais, c’est la construction d’une tiny house pour se mettre au chaud bien serré en petit cercle intime. D’autres encore, tel projet de culture bio, un jardin fleuri à dimension humaine autour d’une vieille demeure rurale retapée, de la gymnastique aquatique en mer par n’importe quel temps (le froid réveille)…

Mais surtout, surtout, ne pas se laisser envahir par la torpeur mortelle de ces années d’occupation qui risquent hélas de se prolonger quelques longs mois durant. « Durer seulement, et un jour peut-être », écrivit Albert Camus à René Char le 29 juin 1953. Comme quoi ces merdes reviennent toujours en boucle.

Lettre d’Albert Camus à René Char, 29 juin 1953
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Un voyageur à domicile en quête d'une nouvelle civilisation.