LE PRINCIPE DE PRÉCAUTION

Donc, nos zélés sénateurs, au nom du « principe de précaution », viennent d’interdire le téléphone portable aux élèves dans les établissements scolaires. Outre que la mesure fera probablement marrer les intéressés, au même titre que feu la future loi Hadopi, on se demande ce que ces vieux croutons ont eu derrière la tête pour sortir un règlement aussi stupéfiant de ridicule.

Un enseignant avance dans [Rue89|http://www.rue89.com/2009/10/11/interdiction-des-portables-le-principe-de-precaution-a-bon-dos] que nos tartuffiers essaient par la législation de sanctuariser cette école qui leur pète de plus en plus à la gueule. C’est que le téléphone portable n’est pas seulement un moyen de communication entre boutonneux. Il prend des photos. Il transmet des infos. Au grand dam, et à la grande trouille, de nos importants barbons. Le principe de précaution a bon dos (note notre enseignant) quand on sait que l’usage de l’outil en question est déjà interdit dans les règlements intérieurs des établissements. Et que l’utilisation frauduleuse du téléphone dans les classes n’y est pas plus fréquente que le vol des bonnes vieilles cocottes en papier au dessus des pupitres de jadis. Alors, coup d’épée dans l’eau pour essayer de survivre politiquement ? Simple gesticulation démago pour caresser dans le sens du poil une piétaille populaire affolée par tout ce qui lui tombe sur le dos ? Sans doute un peu des deux. Mais pas que. On notera d’abord que le principe de précaution a de sacrés œillères. Vu le nombre de nouveau grandissant des morts sur les routes, le principe de précaution aurait voulu que nos machins empesés interdisent aussi la circulation des véhicules automobiles sur les voies goudronnées. Ils auraient été tout aussi bien inspirés de décréter la fermeture des complexes industriels qui nous crachent leurs fumées nauséabondes dans les poumons, la mise sous scellés des usines d’armements qui finissent tous par tuer MÊME les petits zenfants, avec ou sans téléphone portable… Mais non, haro sur le nouvel outil de communication, dont les dangers physiques restent encore bien hypothétiques, mais qui fait déjà la nique aux médias autorisés et aux moyens de contrôles magistraux. Haro uniquement sur ces jeunes godelureaux qui se foutent de toutes les autorités, fussent-elles sénatoriales, comme de l’an quarante. On notera que nos cacochymes se sont bien gardés de « protéger » les adultes dont on ne voit pas en quoi ils seraient moins menacés que leurs mioches par les vombrissants appareils. En réalité, cette débauche d’interdictions en tout genre au nom du « principe de précaution » est signe d’une profonde détresse. Comme la multiplication des lois à raison d’une par larcins, elle est révélatrice de l’impuissance des puissants à contrôler un monde qui leur échappe. Comme la multiplication des caméras à tous les coins de rue. Comme toutes leurs lois anti-piratages que personnes évidemment ne respectent. Comme tous leurs déploiements policiers (qui n’ont pas pu empêcher, ce week-end, deux cents zozos décidés de massacrer tout le centre d’une bonne ville bien bourgeoise comme Poitiers). Cette dépossession d’un pouvoir éternel qu’ils croyaient de droit quasiment divin, explique aussi cette « morbidité » que dénonçait [Ivan Illitch|http://fr.wikipedia.org/wiki/Ivan_Illich] dans leur quête effrénée de la santé à tout prix. Au mépris du bien vivre. Les puissants, vieillards en Chambre compris, ont juste oublié que le seul pouvoir sérieux dont ils pourraient s’enorgueillir tient à un tissu social acceptable par chacun et respectueux de l’environnement de tous. Ce tissu social est en charpie. Ils l’ont eux-mêmes déchiqueté. Et nos gérontes déconfits n’ont plus que des dents règlementaires à crachoter. Ou des dictatures en gestation.

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Un voyageur à domicile en quête d'une nouvelle civilisation.