DES MOMENTS FORMIDABLES

((/public/Reve_generale.jpg|reve general|L)) »<< En vrai, malgré leurs malheurs, tous ces gens vont vivre des moments formidables ! >> » Voilà ce que disait ma fille aînée, vingt-six ans, en regardant les images de la terrible tempête Klaus qui venait de ravager le sud-ouest de la France. Et de fait, la réalité lui donna raison. Nous parviennent au fil des jours les bribes de cette solidarité spontanée entre les naufragés, cette entraide née du vent furieux, ces repas pris en commun de par la force des éléments, ces chaleureuses veillées collectives improvisées pour pallier à l’absence d’électricité, de chauffage, d’eau potable. Drôle comme nos moments les plus mémorables nous viennent souvent des passages les plus périlleux de notre existence.

Le grand raout du 29 janvier 2009 en est un autre témoignage : s’y nouèrent, face au naufrage pressenti d’un système malfaisant, des fraternités nouvelles, des enthousiasmes communicatifs, des envies de lendemains brûlants. Bouffées éphémères ? Si la tempête Klaus ne dura que quelques heures, le tsunami économique et politique, qui est en train d’emporter la clique de parasites au pouvoir, n’en est qu’à ses premiers balbutiements et nous offre un boulevard de plusieurs années pour épanouir nos enthousiasmes. Car je pressens que cela va ainsi se passer : nous allons vivre, nous aussi, des moments inoubliables. C’en est fini de ces trente Foireuses et de leur torpeur gluante pour repus déconfits. Ce que nous avons pu nous ennuyer pendant toutes ces années neurasthéniques ! Je sais bien que surnagèrent de ci de là quelques rafraîchissants îlots de salut, et je confesse n’avoir jamais donné ma part au chien pour ce qui est de les dénicher. Mais tout de même, ce que nous avons pu vivre tristes, au général ! Je me rappelle mes filles, petites, regardant le film sur le festival jubilatoire de Woodstock (année 69), et trépignant de ne pas pouvoir revivre de tels instants. Eh bien le moment est venu, mes cocottes ! Nulle doute que la période agitée qui nous attend s’accompagnera de son lot de souffrances, de saloperies, de cruelles désillusions, de drames, de tragédies, même. C’est hélas le prix fort à payer pour l’aventure. Mais la souffrance empêche-t-elle toujours le plaisir ? N’amplifie-t-elle pas parfois la grisante sensation d’exister ? Ainsi de ce marathonien qui clôt son effort en grimaçant de douleur, de ces mères qui accouchent, et même de certains ébats sexuels, c’est dire ! La souffrance, c’est aussi la peau qui enfin se frotte au chemin caillouteux, les ronces des sous-bois qui vous griffent dans vos courses éperdues. Il existe deux sortes de souffrances, je crois : celles que l’on affronte pour prix de notre liberté et de notre jouissance ; et celles que nous nous laissons infliger et qui nous contraignent à la servilité. À chacun de choisir son camp. Il y eut bien encore, dans ces grandes manifestations de ce bienheureux jeudi, des réflexes de l’avant poussiéreux. À commencer par ce slogan purement syndical sur la relance de la consommation. C’est qu’il est dur de se départir d’un coup des réflexes emmagasinés depuis des décennies. Pourtant, l’heure est venue de l’harmonisation de cette consommation, pas de sa relance, de toute façon condamnée. Permettre à chacun, travailleur ou pas, de vivre décemment, non de retourner à la débauche dévastatrice précédente. Et nous allons y venir, bon gré mal gré, sauf à disparaître. Lors de cette déjà historique journée du 29 janvier 2009, il est rassurant de noter que la myriade éclatée des slogans catégoriels classiques finirent très vite par se dissoudre dans une toute nouvelle devise sortie du diable-vauvert et immédiatement adoptée par la foule :  »<< Rêve général >> » ! Les pisse-vinaigre peuvent gloser tant qu’ils veulent sur le caractère utopiste et puéril de cette revendication. C’est bien cette fraîcheur-là qui manquait à la colère populaire pour en renforcer la puissance. Quel mélange détonnant elle nous promet si on l’associe à l’autre formule qui fleurissait sur moult panonceaux, encore trop timide certes mais déjà assurée :  »<< Casse-toi, pauv' con ! >> » On aurait d’ailleurs gagné à mettre tout de suite cette dernière incantation au pluriel : cassez-vous, pauv’ cons ! Car rien n’adviendra tant que n’aura pas mordu la poussière toute la bande des salopards qui nous a entraînés dans cette abîme, politiciens vendus, banquiers, financiers et patrons véreux, élite arrogante et creuse… Aidons-les ! Cognons sec, avec nos mots à nous, nos manifs festives à nous ! Le fait que les gangsters soient en train de prendre le bouillon tout seuls comme des imbéciles devrait nous faciliter la tâche. J’entends ici monter la morne psalmodie des désespérés congénitaux : à la fin, de toute façon, ça sera pareil, les mêmes dominants reprendront la main et « le peuple » retournera à ses pénates en reniflant ses désillusions. Sauf que pour l’heure, on s’en fout ! La vie aussi se termine par une catastrophe : la mort bête et brutale. Est-ce une raison pour ne pas en profiter un max avant ? Ce n’est pas le but du voyage qui importe, c’est le voyage lui-même. Là, c’est pareil ! Ne nous laissons pas freiner dans notre élan par les prêcheurs du tout inutile. Oui, aujourd’hui, quels que soient les périls qui rôdent alentour, grâce aux marasmes dans lesquels pataugent les gros cons, nous avons une chance unique de vivre des moment formidables et inoubliables. Allons-y carrément, ne ratons aucune aubaine, ne nous privons de rien. Je vous fiche cette chronique que ça va très vite secouer ! ///html

(Photo : Zélie Verdeau, via Rue 89)

///

A propos de Pierrick Tillet 3377 Articles
Un voyageur à domicile en quête d'une nouvelle civilisation.