L’affaire du bijoutier de Nice : si j’étais juré…

L’affaire du bijoutier de Nice fait grand bruit. Dans un article passionnant sur son blog, Maître Eolas en appelle à << la loi, rien que la loi >>. La loi et sa stricte application relève du juge. Mais que pourrait en penser un juré qui, lui, n’a de compte à rendre qu’à son âme et conscience ? En période de grave crise et de tensions exacerbées, l’être humain obéit bien plus à des pulsions immémoriales de meute qu’à des réactions rationnelles.

Rivalités de meutes

Pour Maître Eolas, aucun doute, le cordon sanitaire qui s’est massivement noué autour du bijoutier de Nice, relève de ces pulsions collectives régressives.

<< On se sent à l’abri et on se désinhibe, et pour se faire remarquer dans la masse, il faut faire pire que le dernier message haineux. Aucun intérêt, on est au niveau de la cour de récré, pour savoir qui a la plus grosse. >>

Avouons à rebours que la condamnation sans nuance du bijoutier, comme on peut la lire sur les réseaux déchaînés de la Toile relève tout autant de l’égarement aveugle et outrancier. Car enfin, avant de céder à son acte condamnable, il semble avéré que le bijoutier de Nice s’était bel et bien fait menacer d’un fusil à pompe et frapper par ses agresseurs.

Par temps chaotiques, les meutes ne sont pas le privilège d’un seul camp et peuvent basculer selon le sens du vent d’un côté comme de l’autre. C’est ainsi que les masses effarées se précipitèrent jadis entre les bras du sauveur Pétain, puis s’empressèrent quelques années plus tard d’aller tondre quelques femmes pour exorciser leurs attitudes d’avant.

Je me souviens de ce vieux sujet de philo en classes terminales sur la justice et la loi du Talion. J’avais défendu la thèse suivante : si l’on agressait ou l’on tuait l’un de mes proches, je tuerais le coupable. Mais si j’étais mon juge (ou mon juré), je me déclarerais coupable. Car la justice vise à prévenir et à sanctionner les débordements humains, pas à y obéir au nom des meutes déchaînées.

La loi est dure, mais c’est la loi

Dans les contextes surchauffés, de surcroît attisés par des responsables politiques aux motivations des plus ambiguës, la Justice éprouve bien des difficultés à ne pas céder aux vents mauvais dominants. Si le juge a la grille des lois comme rempart, le juré ne peut se raccrocher qu’à son intime conviction. Essayons tout de même et posons pour les besoins de notre démonstration que l’enquête (toujours en cours) a établi les trois faits suivants :

  • l’attaque de la bijouterie sous la menace de fusils à pompe est caractérisée ;
  • le bijoutier a bien été frappé ;
  • l’arme du bijoutier était illégalement détenue.

Maître Eolas est formel. En tirant dans le dos de sa victime sans n’être plus directement menacé, le bijoutier de Nice s’est rendu coupable d’un acte répréhensible passible d’une condamnation allant jusqu’à 30 ans de réclusion. Et sa mise en examen se trouve de fait justifiée.

Maître Eolas se livre ensuite à une longue analyse juridique et technique de laquelle il ressort que :

  • le bijoutier ne peut invoquer la légitime défense ;
  • il doit donc être condamné pour son acte ;
  • il peut même être tenu de verser des dommages et intérêts conséquents à la famille de son voleur.

Circonstances atténuantes

Nul ne peut nier la justesse du raisonnement juridique de Maître Eolas. Qui s’appuie à juste titre sur la valeur de la raison humaine et de sa logique imperturbable, bien loin de tout sentimentalisme et émotivité incontrôlée. 

Il n’en demeure pas moins que l’intime conviction du juré potentiel que je suis ne peut s’empêcher de relever que le comportement humain ne relève pas de la seule raison humaine. Surtout quand il affronte la tempête d’événements extrêmes, seraient-ils momentanés. Une agression avec coups et sous la menace d’une arme me paraît relever de ce genre d’événements.

Placé dans le cas de figure violent de son agression, peut-on assurer que le bijoutier de Nice était en mesure de maîtriser raisonnablement ses réactions ? Maître Eolas cite lui-même cet extrait des articles 122-1 et suivants du code pénal, énumérant les causes d’irresponsabilités pénales :

<< L’abolition du discernement par un trouble psychique ou neuropsychique. >>

Dans mon intime conviction de juré, il me semble que << l’abolition du discernement >> peut au moins être évoquée comme circonstance atténuante au titre du choc psychique entraîné par une agression violente caractérisée.

Sous réserves des résultats définitifs de l’enquête, le bijoutier de Nice est entièrement coupable de la détention illégale d’une arme (et sans circonstances atténuantes). Le bijoutier est également coupable d’homicide involontaire sur sa jeune victime. Mais il paraît pouvoir bénéficier là d’une circonstance atténuante due aux circonstances des faits. Il incombe au juge de mesurer ce degré d’irresponsabilité.

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