Crépuscule, par Juan Branco – 11. La forteresse médiatique

Voilà donc que l’on a découvert en passant que la désintéressée et généreuse Brigitte Macron, admirée par tous les Français depuis que la trafiquante de drogue Mimi Marchand est devenue sa meilleure amie et a été par deux oligarques chargée d’en faire une première dame idéale, Brigitte Macron donc, égérie du bien commun, enseignait non pas en un lycée public, non pas en un lycée difficile, non pas en un lieu où son engagement serait à valoriser, mais dans l’un des lycées les plus cossus de Paris, choisi volontairement et où elle profitait de son poste pour se lier avec la principale fortune de France et la présenter à son ambitieux mari – que l’on disait alors désargenté et éploré – pour s’assurer que ce dernier se verrait mettre le pied à l’étrier et s’en trouverait aisément propulsé.

Là, l’on commence véritablement à avoir le tournis. Le jeune homme au regard tranchant, blanche colombe prête à se sacrifier pour la France, venue du rien pour prendre le tout, présenté au peuple qui l’aurait immédiatement adoubé, avait en fait, avant même d’être ministre ou secrétaire général adjoint de l’Élysée, comme soutien et ami non seulement l’oligarque Xavier Niel, mais aussi la première puissance financière de France, en plus de la banque Rothschild et de ses réseaux, qu’il obtiendrait en trahissant l’inspection générale des finances – elle-même richement dotée en réseaux tant les trahisons du corps ont fini par en faire une passoire et une source de compromissions récurrentes pour l’État plutôt qu’un organe de contrôle de ce dernier – en plus de la bourgeoisie amiénoise, en plus de ceux de Jean-Pierre Jouyet que l’on s’apprête à exposer, et ce alors même qu’il n’était organiquement, publiquement « rien ». Et l’on rappelle que la presse détenue par ces individus le présenterait, des années plus tard, par hasard et en toute indépendance journalistique, comme venant du néant, pur produit du génie et du mérite, surdoué doté de qualités et d’une aura mystique capable d’ensorceler la plèbe par sa seule intelligence et son talent. Et qu’aucun journaliste, jusqu’à aujourd’hui, ne dénoncerait sérieusement l’opération de communication qui leur avait été imposée.

L’imposture qui aux Français avait été imposée.

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Cet homme pourtant déjà millionnaire, devenu millionnaire avant trente ans grâce à la vente des réseaux que lui avait offert la République à une banque privée, nous serait au contraire présenté comme le parangon de la démocratie libérale, de notre méritocratie républicaine, d’un système nettoyé.

Difficile de ne pas en tirer l’interrogation suivante, tant les faits deviennent accablants : cet homme dont tout le parcours exhale le service du soi n’aurait-il en fait été qu’un pantin au service de ceux dont il a appliqué, à la lettre, le programme, utilisant ses titres et qualités inventées – on le prétendrait même, faute de talents sur lesquels s’appuyer, philosophe reconnu[efn_note]Philosophe « parfait », puisque n’ayant jamais rien publié, et ne pouvant dès lors, à ce titre, être jugé.[/efn_note] et pianiste de renom ! – pour recouvrir cette opération bien huilée ?

L’on commence en tous cas à comprendre les raisons de ce décalage étonnant entre notre ressenti – nous qui avons accumulé les mêmes titres et suivi, grosso modo, le même parcours, et qui dès lors ne pouvions être impressionnés par la surface qui était présentée, forcés de tenter d’en percevoir le fond et de ne jamais le trouver, rétifs à tous les dispositifs d’intimidation symboliques mis en place par les oligarques dont nous parlons, puisque conscients de leurs méthodes de fabrication, nous en somme qui n’existons et n’avons de légitimité qu’en ce que nous avons été institués pour contrôler les utilisations indignes des titres et fonctions que nous partageons avec M. Macron, éviter que des êtres viennent trahir tout cela pour se servir ou servir leurs intérêts. L’on commence à comprendre ce sentiment qui dès 2013, nous avait étreint face à un individu à l’apparence d’insignifiance telle qu’elle interrogeait sur sa capacité quelconque à l’incarnation, face à la médiocrité creuse de ses discours, la facticité des structures qui l’appuyaient – rappelons-nous de ces « adhérents » qui n’étaient que des souscripteurs à des envois de mails –, cet être qui se contenta pendant des mois, surfant sur la notoriété fabriquée par Niel, Arnault, Lagardère et Marchand, de ne pas présenter de programme, et qui était doté d’un bilan que l’on tenterait pourtant tant bien que mal de nous présenter comme révolutionnaire, nous chargeant de nous enthousiasmer à l’idée que l’être de génie avait permis la création de nouvelles lignes de bus dangereux et polluants. L’étonnement face à l’excitation qu’il suscitait, et face à la popularité précaire qui soudain pourtant l’enserra. L’on commence à comprendre oui, que quelque chose s’est joué là, et que oui, tous les vecteurs qui, en une société saine, servent à contrôler les intrigants et à s’assurer que nos mécanismes de contrôle fonctionnent, avaient été infiltrés et subvertis jusqu’à éclater.

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Et l’on commence à s’indigner. Car tout cela, on ne le découvre que plus d’un an après l’élection présidentielle, et encore, ne l’apprend-on que partiellement, et peut -être ne l’aurions-nous jamais appris, et encore, nous nous trouvons à devoir mettre tout cela, nous-mêmes en récit, et pourquoi se retrouve-t-on à devoir faire cela ? Parce que l’un des journalistes ayant commis la meilleure enquête du moment sur Macron, Mimi qui, rappelons-le, ne contient quelques pages sur ce dernier, était employé par ledit Bernard Arnault et ne pouvait révéler qu’une partie des informations que nous exposons, comme il ne pût le faire en ce qui concernait l’autre intéressé, un certain Lagardère, Arnaud. Que les quelques rares autres qui auront entre temps mis leur indépendance au-dessus de tout enjeu de carrière auront été depuis écrasés. Et que les puissants de la profession, comme Madame Bacqué, qui n’avaient rien à craindre, auront préféré pendant des mois et des années se taire face à la mise en œuvre de toutes ces compromissions, s’en rendant les complices factuelles, trop occupés à aduler ce personnage de roman qui leur faisait le mauvais coup d’acteur du regard plongeant, jusqu’à implicitement le soutenir.

Là, il est peut-être temps d’inciter tout le monde à trembler.

Car si le mirage s’efface, cela intervient alors que cette coterie, cette petite bande qui à l’échelle inférieure se fait la courte échelle pour s’asservir à ses puissants et ainsi assurer sa position, rendant une série de services et de dispositifs dont on ne pourrait détailler l’ampleur ici tant elle est immense, et dont les conséquences se traduisent en dispositifs législatifs et réglementaires impactant l’ensemble du pays, liens si intimes qu’ils provoquent mariages et séparations, tout cela dans le seul objectif de servir et de se servir, cette coterie a déjà accumulé un tel pouvoir que, même en les exposant, les détrôner de façon démocratique apparaîtrait en l’état impossible. Que même en faisant partir M. Macron, nous resterait un tel appareil de pouvoir qu’il ne pourrait appeler qu’à la révolution.

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L’on tremble, car le simple fait de faire connaître cette information, de faire voir les connivences qui ont permis la constitution de l’un des pouvoirs les plus rapaces de l’histoire de la Ve République apparaît impossible à mener. Comment faire savoir aux populations que l’on leur vole des milliards chaque année du fait de compromissions diverses qui les ont amenés à être parfaitement trompés ? De « liens d’amitié », qui utilisent la République pour se servir, se promouvoir et faire la courte-échelle aux siens, plutôt que les protéger ? Comment mettre en discours cette accumulation de factualités – pour beaucoup publiques, mais qui elles ne sont pas complétées et exposées dans leur entièreté, se trouvent politiquement désactivées ?

Où le faire, comment le faire savoir ? Quel organe de presse pourrait l’accueillir, y compris pour le contredire ? Libération, L’Express ou BFM TV ? C’est-à-dire les médias détenus par Patrick Drahi, dont l’empire a été consolidé avec l’aide d’Emmanuel Macron, Drahi qui l’a remercié en mettant à sa disposition sa main droite et directeur de facto de ses médias, Bernard Mourad[efn_note]Nommé par la suite et de ce fait patron de Bank of America France, qui se verrait miraculeusement attribuer par le pouvoir la gestion de la privatisation des Aéroports de Paris. Il avait été nommé, avant sa mise à disposition auprès d’Emmanuel Macron, directeur du pôle presse du groupe de Patrick Drahi, et donc de facto dirigeant de l’Express et de Libération, racheté par Patrick Drahi sur suggestion de François Hollande, présenté à ce dernier par Emmanuel Macron via Bernard Mourad, afin d’obtenir la « neutralité bienveillante » de l’État dans son rachat de SFR.[/efn_note], pendant la campagne présidentielle, après que ce Bernard Mourad ait, sur ordre de M. Drahi, « suggéré » des unes au sujet de M. Macron, lors des comités de rédaction de ces médias auxquels, contre toute logique, il participait ? À l’Obs, au Monde, à Télérama, à Mediapart, dans la dizaine d’autres médias où Xavier Niel a investi ? Au Figaro, chez Olivier Dassault, où il faudrait espérer qu’un journaliste trouve le courage d’attaquer les collusions entre médias et milliardaires, après que l’empire de son père se soit construit en s’appuyant sur cela ?

Rions jaune, et pensons plutôt aux télés ou radios publiques, dont les directeurs sont nommés par le pouvoir politique – indirectement certes, en ces affaires, l’on aime à rester pudiques, même s’il l’on fini par nommer, comme à Radio France, une camarade de promotion – et dont nous venons de montrer comment l’un des piliers de l’information compromettait l’intégrité du groupe pour servir son ami président et se venger de sa Présidente – où jamais la plus brillante de ses investigatrices, Elise Lucet, ne s’est attaquée à ces sujets. Au Parisien ou aux Échos, chez Bernard Arnault, à Vanity Fair, qui publie des articles de commande et qui coulerait immédiatement si ce dernier cessait de le financer ?

À Canal + ou chez C8, chez Vincent Bolloré à qui Macron confia part de sa communication alors qu’il était ministre de l’économie via Havas – avant qu’Hanouna, pilier capitalistique du groupe, n’en devint le meilleur relais, l’invitant régulièrement à communiquer par téléphone lors de ses émissions ? À TF1 ou TMC, chez Martin Bouygues, là encore compromis jusqu’aux ongles et dépendant de la commande d’État ? Au JDD ? Là où Gattegno a montré toute sa capacité à servir ceux qui plaisaient à son propriétaire, un certain… Arnaud Lagardère !

L’on tremble parce que soudain, l’on commence à se sentir étrangement seul et bizarrement encerclé, pour peu que l’on ne serve nul intérêt, ou nul relais qui pourrait un jour être, par l’un de ceux-là, mobilisé. Ce qui apparaissait comme un paysage pluraliste, empli de journalistes courageux et indépendants, ou du moins suffisamment nombreux pour se faire concurrence et éviter ainsi de trop grandes compromissions systémiques, n’apparaît plus, lorsque l’on tente d’y avancer à sec, que comme un putride espace où la peur et l’incertitude, l’asymétrie règnent pour écraser toute diction de l’information qui ne servirait pas l’un des appareils de pouvoir en place, réduisant notre espace public de façon à ne le permettre de relayer que des interdisant toute compréhension globale du système en question.

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