Bob Solo, plein les mirettes : 10/10

Il y a des fois où ça va pas fort.

Où je me dis par exemple qu’un jour viendra, dans très longtemps j’espère, mais il viendra, tout semble indiquer qu’il viendra, inéluctablement, ce jour où je photographierai le dernier oiseau. Je ne le saurai pas tout de suite. Je rentrerai chez moi après une bonne journée de vagabondages, par les ruisseaux, les chemins de pierre et les bois, le corps et l’esprit apaisés, puis, au fil de l’une ou l’autre de mes lectures, je l’apprendrai : c’était le dernier oiseau. Peut-être pas le dernier de tous, peut-être « seulement » le dernier de son espèce. Mais le choc, la colère et le chagrin seront aussi violents. Toujours les mêmes causes : pollution, destruction, indifférence, négligence, cupidité, stupidité.

Je resterai sans voix, longtemps je regarderai cette photo [ci-dessus], je tenterai de garder en mémoire le plus de détails possible de cet instant, je me repasserai la scène : oui, je me souviens, c’était au détour d’un étroit sentier surplombé de rochers ocres, il y avait juste là un bouquet de vieux cerisiers abandonnés depuis longtemps, baignés d’un soleil orangé. Je l’ai d’abord entendu chanter gaiement puis du coin de l’œil je l’ai vu sautiller de branche en branche. J’ai fait la photo, on est resté là un moment.

Plus tard je raconterai l’épisode, encore et encore, pendant des années, au point que devenu vieux on me dira sénile, radotant, et qu’au final on ne me croira pas, même quand je brandirai la photo fatiguée que plus personne ne regardera. Alors cet oiseau-là mourra à nouveau, et cette fois peut-être définitivement. Alors c’est le monde lui-même qui sera encore un peu plus sombre. Et moi avec.

En attendant, passer des heures dans la nature à photographier la faune et la flore, notamment les oiseaux, est devenu une véritable addiction. C’est une source de bien-être infinie. Mais je le vis aussi avec un sentiment d’urgence, comme s’il me fallait fixer toutes ces choses avant qu’elle ne me soient enlevées, avant qu’elles ne disparaissent. Puis je les diffuse en espérant sensibiliser. Mais c’est peu dire que je ne suis pas optimiste pour le futur, même si je constate une prise de conscience de plus en plus large et aigüe des risques que nous encourrons.

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Camargue, suite et fin. 91e espèce observée, très célèbre elle aussi : la cigogne blanche.

Ce n’est certes pas le retour du printemps mais tout de même…

Je ne veux plus écouter quiconque dira que « tout ça ne sert à rien ». Même quand c’est moi qui me le dis.

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Un voyageur à domicile en quête d'une nouvelle civilisation.