VIE PUBLIQUE, VIE PRIVÉE

N’allez pas croire, parce que j’ai consacré mes derniers billets à essayer de dégager un petit espace vital vivable pour moi-même et ma meute à l’écart de la grisaille ambiante, que j’en oublie la chose publique. Non, comme le chat assoupi sur un arbre sous un rare rayon de soleil, mieux vaut ne pas quitter de l’oeil ce qui se passe alentour. Vu le déroulement de la chose publique en question, les aguets sont d’extrême rigueur !

On ne peut pas dire qu’ils y vont avec le dos de la cuillers, les nouveaux promus. Pas dire non plus qu’il y a grand chose d’étonnant dans leur attitude. Sauf qu’ils ne perdent pas de temps. Arrosage en règle de l’aéropage des copains de la haute à grand renfort de « paquet fiscal », droit de grève sous perfusion de « service minimum », contrat de travail en cours de flexibilisation forcenée, renforcement de l’artillerie sécuritaire, fixation de quotas draconiens d’expulsions, institutions taillées aux mesures de l’ambition démesurée du Président en exercice… Lequel, au beau milieu de sa cour, sur le tapis rouge obséquieusement déroulé par les médias confits, plastronne et fait le beau, court du four au moulin en tenue de jogging immaculée, caquette devant caméras et micros. Vue l’indigence de l’opposition institutionnelle de gauche, pourquoi se gêner ? Le Parti socialiste se confettise, les autres larmoient sur leurs décombres ou s’accrochent aux lambeaux de leurs pauvres ambitions. Une révolte populaire ? Pour l’heure, le « peuple » est muet. Et n’a aucun relais politique digne de ce nom à se mettre sous la dent. ///html

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/// Pourtant, au-delà des mouvements de mentons suffisants, on ne sent pas vraiment l’équipe au pouvoir si sereine. Du pouvoir, ils ne détiennent que les apparences, l’image publique. Leur frénésie à vouloir dresser toutes ces barrières de protection autour d’eux témoignent d’une certaine fébrilité. Plus on multiplie les règlements autoritaires et les interdictions, plus ceux-ci sont amenés à être bafoués. Qu’adviendrait-il de leur autorité si un mouvement social résolu venait pulvériser d’entrée ce « service minimum » qu’ils prétendent imposer ? Pensent-ils vraiment que quelques dizaines d’expulsions spectaculaires vont mettre un terme à l’immigration clandestine qu’entraîne la paupérisation galopante d’une partie grandissante du monde ? Espèrent-ils vraiment que le renforcement des mesures sécuritaires, hochet tout juste destiné à rassurer les veaux inquiets, parviendra à enrayer la délinquance ? On pourrait ainsi multiplier les exemples à l’infini. La terre n’est pas si ferme sous leurs pieds. J’entendais ce matin encore une annonce alarmée sur l’augmentation « inquiétante » du nombre d’arrêts de travail. Comme dans le cas des fraudes supposées aux Assedic, le mot « tricherie » était évidemment mis en exergue. Sans doute pas totalement à tort ! Enlevez aux gens, comme ils le font, les dernières bonnes raisons d’aller au boulot est le meilleur moyen de gonfler le rang des tire-au-flanc. Bien des choses leur échappent et ils le savent. ///html

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/// Le comportement privé, sur fond de désobéissance civique et de de résistance passive (« cause toujours, tu m’intéresses ! »), finit toujours par s’opposer au spectacle public quand celui-ci est par trop indigent. Il n’y a guère que les gogos pour confondre leurs actes de soumission avec des marques de respect. Les autres finissent par se doter de leurs propres lois et règles de comportement, avec au mieux l’adaptation très personnalisée de quelques principes de base genre « tu ne voleras pas plus pauvre que toi ». Le recours au système D combinard favorise certainement les comportements égoïstes. Mais il ne va pas forcément sans esprit de solidarité. Pour s’opposer aux expulsions « légales » de sans-papier, c’est bien une initiative privée qui est à l’origine du mouvement [RESF|http://www.educationsansfrontieres.org] (Réseau Éducation Sans Frontières). N’oublions pas non plus l’impact des Don Quichotte de la République dans un passé récent. Sans doute serait-il plus sain de rapprocher spectacle public et agissements privés. Mais comment et avec qui ? Pour ma part, je me tiens prêt à sauter dans le premier wagon politique en partance pour ce recollage et la reconquête d’un minimum de dignité. Sauf que les [conditions|http://www.yetiblog.org/index.php?2007/04/27/153-mes-conditions] me paraissent bien loin d’être réunies aujourd’hui. Se contenter de marquer à la culotte chaque nouvel acte scandaleux de l’équipe au pouvoir me paraît vain. Chacun de leurs médiocres méfaits parle suffisamment de lui-même. L’indignation est chose nécessaire, mais son étalage répétitif est un peu lassant. D’autant qu’il tourne souvent à la posture commode pour meubler un vide existentiel. J’ai un peu tendance à fuir les révolutionnaires qui « révolutionnent » dans leur petit vase clos et crispé. Il me semble indispensable de ne jamais cesser de vivre, serait-ce avec les seuls moyens du bord. Voilà pourquoi, quoiqu’ils se passe dans la sphère publique, j’accorde tant d’importance à la construction d’un petit espace jubilatoire avec mes proches et les autres qui le veulent bien. Pour le reste, quand vous êtes prêts, sifflez-moi.

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Un voyageur à domicile en quête d'une nouvelle civilisation.