WOODSTOCK, RIGHT NOW !

((/public/Woodstock_music_festival.jpg|Woodstock_music_festival.jpg|L))Le matin, je vais souvent balader mes chiennes sur la jetée qui donne sur le grand estuaire. En ce moment, il fait beau. Les touristes en font un lieu de pèlerinage. Mais ce que je préfère, c’est quand le quai est un désert battu par le vent et la pluie. Un vilain crachin noie interminablement le paysage. C’est à peine si là-bas, sur l’autre rive du fleuve, on aperçoit les ombres des complexes pétrochimiques et les fumées menaçantes de leurs hautes cheminées. De ce côté-ci, seules quelques rares silhouettes liquéfiées de passants obstinés s’accrochent au gras du bitume. Elles filent comme ombres pourchassées, imperméables au salut. Pourquoi faut-il qu’à ces instants me reviennent en mémoire les images d’un autre vieux souvenir ruisselant…

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/// Le mauvais temps est une invention des humains. Il n’y a pas de « beau » temps ou de « mauvais » temps. Juste le temps qu’il fait, c’est tout. Agréable ou désagréable, ce n’est pas le sujet. Il faut faire avec. — Bonjour, Madame. Qu’il fasse beau ou mauvais, je mets un point d’honneur à saluer tous ceux que je croise sur la jetée. Sur le coup, la dame, petite, âge certain, un peu boulote, engoncée dans une énorme doudoune surdimensionnée, est un peu interloquée. Puis elle se reprend, les joues enflammées par la bourrasque. — Bonj… Mais déjà le vent l’a emportée. __Il est grand temps de s’emparer de son temps__ Le temps qu’il fait est une question de mentalité et d’adaptation. Dans le tumulte qui aujourd’hui nous affole, dans cet effondrement de notre confort « inaliénable », jamais la nécessité de s’emparer de son temps ne fut plus d’actualité. NO RAIN ! ///html

/// — Oh papa, le pot que tu as eu de vivre à cette époque ! Woodstock… Y a-t-il une époque pour ce genre de choses ? La pluie continue de ravager le quai. Les chiennes ressemblent à des serpillères mais continuent de musarder, indifférentes. Les mouettes remontent au vent en zigzaguant sous l’effort. Les rares passants ont disparus. En face, au-delà des complexes pétrochimiques, je sais que s’étendent les usines Renault sinistrées de Sandouville. — Ça dépend de vous. Rien que de vous. C’est à vous de jouer maintenant. — Mais papa, Woodstock, c’était il y a quarante ans ! Aujourd’hui, ce serait impossible ! — Arrêtons les atermoiements, s’il vous plaît ! Des milliers de jeunes sont encore capables de se réunir en un tournemain pour des “raves” et vous me chantez que c’est impossible ! C’est une question d’état d’esprit, c’est tout ! Et le but n’est pas de refaire Woodstock, mais d’arrêter de gémir et de subir. De brûler votre vie et votre jeunesse, à votre façon bien sûr, mais sans attendre et plutôt que de vous laisser racornir par je ne sais quel sinistre espoir de « plan de carrière » qui ne vous mènera à rien. Et qui devient d’ailleurs de plus en plus improbable vu l’évolution des choses. __Jamais vous n’avez eu une époque aussi favorable pour vous faire entendre__ Jusqu’à ces derniers mois, vous aviez peut-être encore la pauvre excuse de vous accrocher à l’espoir d’un avenir sans doute pas reluisant, mais assez confortable. Aujourd’hui, c’est terminé. Il n’y a plus rien. Vous êtes au pied du mur. Le monde qu’on vous faisait miroiter n’est plus qu’un vaste marigot d’où vous allez devoir surnager ou disparaître. — Ça te fait rire ? — Pas rire, mais pas pleurer non plus ! Jamais vous n’avez eu une époque aussi favorable pour vous faire entendre, JAMAIS ! Pas même il y a quarante ans, à l’époque de Woodstock. Vous disposez de moyens de contact entre vous comme jamais il n’en exista : Internet, le téléphone portable, MSN, Facebook… Foin des jérémiades, vous n’avez plus rien à perdre, et aucune excuse ! » « Fuck » le « mauvais » temps ! « Fuck » les tornades et les sordides naufrageurs ! « Fuck » les couchés, les assis larmoyants, les noyés consentants par omission des marécages humains ! Quand est-ce que vous vous levez ? Vous attendez que la vague de boue vous emporte ? HOOOOOOOOOO HOHOHO-HO ! HOOOOOOOOOO HOHOHO-HO ! — Putain, papa, qu’est-ce tu fous à patauger comme un malade dans cette flaque d’eau ? ///html

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Notes
À l’occasion du quarantenaire de Woodstock, ré-édition actualisée d’un ancien billet de novembre 2008.

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A propos de Pierrick Tillet 3377 Articles
Un voyageur à domicile en quête d'une nouvelle civilisation.