Un voyage en Syrie par Jihad Wachill (5/7) : ENTRE HAMA ET LATTAQUIÉ, 28 avril 2018

Cinquième jour du voyage de Jihad Wachill en Syrie. Quelque part entre Hama et Lattaquié. Rencontre avec les « mères de martyrs » et un médecin syrien pro FN travaillant à Montpellier.


28 avril 2018

Nous prenons un petit-déjeuner avant de repartir par monts et par vaux. Enfin les autres, parce que pour ce qui me concerne, j’ai encore du mal à avaler quoi que ce soit de consistant. Nous allons visiter l’association des « mères de martyrs » d’un village entre Hama et Lattaquié. Il s’agit d’un village « mixte », dont la population est essentiellement musulmane de confessions sunnite ou alaouite mêlées. Nous constatons sur place qu’il ne s’agit pas uniquement de mères, mais aussi de sœurs ou de veuves de combattants, en grande majorité des conscrits puisque l’armée syrienne est une armée de conscription, décédés ou gravement blessés.

Voyage groupe Wachill J5 (Hama-direction Lattaquié)

Leur activité principale consiste à préparer des repas pour les soldats au front et de les leur faire acheminer, voire de les acheminer elles-mêmes. Ainsi, une de leurs principales responsables est elle-même décédée tragiquement en tentant d’amener ses repas sur la ligne de front. On nous sert un plat copieux en guise de second petit-déjeuner, que j’évite en me contentant de « picorer » quelques crudités. Le maire du village est là, et nous gratifie d’un bref discours de bienvenue. On nous propose une pâtisserie à la crème pour compléter le petit-déjeuner, dont j’arrive à manger une part : manifestement mon système digestif commence à se rétablir. Nos hôtesses arborent des écharpes de « supportrices » aux couleurs de la Syrie, reste probablement de la remarquable campagne des qualifications à la Coupe du Monde 2018 en Russie, à laquelle l’équipe nationale syrienne est passée à deux doigts de se qualifier au détriment de l’Australie (un coup franc sur le poteau dans les arrêts de jeu des prolongations).

Nous allons ensuite visiter des familles de « martyrs ». L’ensemble des gens que nous rencontrons dans le cadre de ces visites font preuve d’une grande dignité et force de caractère. Il s’agit de familles de soldats tués, mais aussi de soldats grièvement blessés et de leur famille. Ainsi, nous visitons un soldat grièvement blessé à la tête et qui a perdu la vue suite à cette blessure, ou encore d’un soldat blessé par des éclats d’obus dans la défense de Deir-Ezzor (à l’autre bout de la Syrie par rapport à ce village), et qui est paralysé des jambes et a perdu la vue et l’ouïe du côté gauche du visage. Beaucoup de ces morts ou blessures sont intervenues en 2013, qui fut visiblement une « année noire » pour l’armée syrienne. Nous rencontrons ici un médecin syrien travaillant en France à Montpellier et de passage pour ses vacances.

Notre médecin syrien venu de France se révèle un personnage bourré de contradictions : zélateur de l’action de Robert Ménard (maire apparenté FN de Béziers) sur la Syrie, il semble complètement occulter les accointances passées avec la CIA du personnage du temps où il présidait RSF tout comme le caractère communautariste et « marketing » de son action sur la Syrie ; bien que « loyaliste », c’est de lui que viendront les critiques les plus affirmées à l’égard des autorités syriennes et de Bachar al-Assad. Il dénonce la corruption, tout en reconnaissant que le conflit aura eu pour effet de « purger » l’appareil d’État sur ce plan, estime que la réaction de l’État syrien aura été trop timorée au début des événements et qu’il aurait fallu employer la « manière forte » dès les premiers troubles.

Enfin, par une formule sybilline, il suggère que Bachar al-Assad n’était peut-être pas l’homme de la situation pour succéder à son père. Nous lui demandons s’il voyait une autre personne à sa place à ce moment-là. Il répond positivement, cite un nom, celui d’un responsable baasiste aujourd’hui « retiré des affaires ». Il nous ajoute qu’il avait pour lui d’être sunnite « ce qui est est avantage dans ce pays » selon lui. Manifestement, le chauvinisme sunnite, sur lequel a prospéré le terrorisme « islamiste », continue malheureusement d’empoisonner la société syrienne, y compris à travers des manifestations des plus inattendues… Notre interlocuteur concèdera in fine mollement que « Bachar al-Assad a évité à la Syrie le pire ».

Nous retournons ensuite au siège de l’association des « mères de martyrs », quelques uns d’entre nous les aident à embarquer les repas qu’elles ont préparés. Puis nous les accompagnons pendant quelques temps en mini-bus. Je discute en chemin avec une de nos accompagnatrices, une enseignante. Nous parlons d’Alep, ville où elle a fait ses études, et où elle voudrait pouvoir retourner. Elle semble triste à l’évocation de cette ville qui lui rappelle manifestement un passé heureux qui semble aujourd’hui bien lointain. À cette nostalgie se mêle une incompréhension palpable par rapport à l’enchaînement des événements qui a conduit son pays au bord du gouffre.

Nous quittons nos amies pour continuer notre chemin à travers la montagne de l’arrière-pays de Lattaquié et rejoindre nos hôtes du jour. Il s’agit d’un responsable à la retraite de l’appareil sécuritaire manifestement d’un certain rang. Nous nous installons, nous restaurons, puis visitons d’autres familles de « martyrs » dans cette « montagne alaouite ». Nous rentrons, dînons avec notre hôte, d’une grande hospitalité : nous avons droit à quelques bouteilles de vin de sa réserve personnelle pour l’occasion, dont un très bon vin libanais. Nous discutons un peu avec notre hôte, qui regrette d’être interdit de séjour en France, pays où il a effectué ses études. Il nous montre sa thèse, sur la Syrie et le mouvement national palestinien avec 1967, que nous sommes quelques uns ) consulter avec intérêt.

Nous ne tardons toutefois pas à nous coucher : pour ce qui me concerne j’ai du sommeil à rattraper de la nuit précédente.

=> À suivre : PALMYRE

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