Un voyage en Syrie par Jihad Wachill (2/7) : ALEP, 25 avril 2018

Suite du journal de voyage de Jihad Wachill. Jour 2 : en route vers le nord, à Alep et dans son soukh détruit en pleine reconstruction.


25 avril 2018

Nous sommes partis pour Alep tôt le matin pour le second jour de notre périple. Un voyage assez pénible : impossible de trouver un minicar disponible, comme prévu initialement. En effet, beaucoup ont été réquisitionnés par l’État syrien pour assurer les besoins en terme de déplacement de ses soldats ou des « rebelles syriens » de la Ghouta orientale, évacués eux et leur famille vers le nord de la Syrie quelques jours avant notre arrivée, après leur reddition et selon les termes d’un accord conclu entre les parties. Ne reste plus dans l’agglomération damascène que Yarmouk (quartier surtout peuplé de réfugiés palestiniens) et ses environs à échapper pour l’instant au contrôle des autorités syriennes, essentiellement au profit de Daech. Une offensive de l’armée syrienne est toutefois en cours pour reprendre le contrôle de ce secteur aux portes de Damas : nous avons d’ailleurs entendu la veille les avions passer dans le ciel damascène et au loin le bruit des bombardements sur ces positions daechiennes.

Voyage groupe Wachill J2 (NB : comme l’explique l’auteur, le trajet fut parfois moins « direct » qu’il n’apparaît sur cette carte).

Pour aller à Alep, nous avons donc pris un taxi puis un bus assurant la desserte régulière d’Alep. Un petit tronçon de l’autoroute Damas-Alep étant encore sous contrôle « rebelles » dans la région d’Idlib (dite « Idlibistan »…), le car oblique par des petites routes à partir de Homs. Ce qui rallonge sensiblement le trajet et le temps mis pour l’effectuer. Les traces de combats sont visibles sur le chemin. Il semblerait toutefois que le trafic routier soit en phase ascendante, bien qu’encore modeste par rapport à ce qu’il était.

Nous arrivons à Alep par l’est de la ville, où nous pouvons constater de visu l’ampleur des dégâts. Mais c’est au centre-ville d’Alep que nous serons confrontés aux destructions les plus spectaculaires, nous y reviendrons.

L’hôtel familial où nous logeons est en centre-ville, dans une aile du soukh d’Alep dans les faits encore plus ou moins fermée. Outre les destructions, le peu d’activité de cette aile du soukh d’Alep s’explique par le fait qu’il assurait le commerce vers la région d’Idlib, toujours aux mains des groupes islamistes armés. D’où le fait que l’activité commerciale avec cette région reste pour l’instant très aléatoire et le volume des échanges très faible. L’hôtel ne semble pas avoir reçu de visiteurs depuis cinq ans et vient de rouvrir pour nous accueillir. Malgré la bonne volonté de la famille tenant l’hôtel, il y a quelques « ratés » : pas d’eau chaude le premier soir, pas d’internet (ou alors de manière très fugace et limitée), coupure d’électricité, etc. Peu de choses toutefois par rapport aux privations qu’a connu la population restée à Alep pendant les années de combats dans la ville.

Le propriétaire de l’hôtel nous fait visiter cette aile du soukh d’Alep, un des plus grands du monde, et qui fut occupé un certain temps par les « rebelles syriens », et était devenu des années durant un lieu d’affrontements. Sachant qu’Alep est la plus importante ville commerciale et industrielle de Syrie (voire du Proche-Orient), et que le soukh en est le cœur, l’arrêt de son activité commerçante a été une catastrophe économique pour la ville elle-même, mais aussi pour tout le pays. Étant donné que le bail des échoppes dans le soukh d’Alep est à un tarif prohibitif, l’interruption de l’activité commerciale pendant des années a en elle-même un coût faramineux pour les commerçants. Il faut ajouter à cela les destructions : de nombreuses boutiques sont ici à reconstruire, partiellement ou totalement, avant d’envisager une reprise de l’activité commerçante en particulier celles qui étaient en bois et sont purement et simplement parties en fumée…

Les quelques commerçants présents sont très accueillants, nous offrent le café, et insistent pour nous faire visiter leurs boutiques, dont certaines contiennent voire sont en elles-mêmes de véritables petits trésors de l’artisanat local. Nous finissons par quitter nos nouveaux amis pour poursuivre notre périple.

Au fur et à mesure que nous avançons, les destructions sont de plus en plus importantes : nous approchons de l’ancienne ligne de front. Nous sortons du soukh pour nous retrouver devant une scène quasi-apocalytique. Même à Beyrouth à la sortie de la guerre civile, il ne me semble jamais avoir vu un tel niveau de destructions. Quand ils ne sont pas purement et simplement rasés, c’est à peine si les immeubles tiennent encore debout. À notre grande surprise, nous apprenons que ces immeubles étaient tenus par les soldats de l’armée syrienne, et donc que ce sont les bombardements des « rebelles » qui ont provoqué ce niveau effarant de destruction. Ce qui laisse supposer un armement et une logistique militaire loin d’être aussi sommaires et limités qu’on nous l’a présenté dans nos médias. En remontant cette rue, nous passons devant la mosquée des Omeyyades, qui servait de quartier général aux « rebelles », et dont ils ont miné et détruit le minaret au moment où ils ont été contraints de quitter les lieux.

Nous remontons vers la citadelle d’Alep, qui était un bastion « loyaliste » isolé en territoire ennemi. Assiégée pendant des années, elle était approvisionnée vaille que vaille par l’armée syrienne. La vie reprend doucement dans ce secteur traditionnellement très fréquenté de la ville. Notre groupe est accueilli avec curiosité et bienveillance. De toute évidence, la plupart des passants n’ont plus vu d’étrangers ou presque ces dernières années. Les commerçants nous font visiter leurs boutiques en cours de reconstruction. Les jeunes essaient de communiquer vaille que vaille avec nous. Beaucoup de familles et de groupes de jeunes veulent prendre des photos avec nous. Les sourires nous font chaud au cœur : notre présence semble renforcer l’espoir de ces gens d’un retour à la normale, un espoir de paix, un peu de confiance en l’avenir. Nous sommes tous très émus de cet accueil, d’une simplicité et d’une prévenance presque déconcertantes.

Après un verre à la terrasse d’un café, certains d’entre nous sont interviewés par les correspondants locaux de la chaîne de télévision iranienne sur leurs impressions et quelques considérations politiques sur les positions diplomatiques de la France. Nous repartons ensuite à pied à l’hôtel où nous logeons pour dîner et dormir, refaisant le parcours en sens inverse. De nuit, les destructions qui le jalonnent notre parcours apparaissent irréelles, quasi-spectrales, inquiétantes, oppressantes voire effrayantes parfois.

=> À suivre : ALEP (2e jour)

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Un voyageur à domicile en quête d'une nouvelle civilisation.