
Cette nouvelle année qui commence, je te nous la souhaite humaine. Étrangère à l’économie, à la compétitivité, à la concurrence, aux contraintes internationales, à des années-lumière de Macron et son monde.
« Maudite soit la guerre économique ! » Depuis le 17 novembre 2018 un gars porte cette pancarte à toutes les manifestations où l’on voit des Gilets jaunes. Rappel du célèbre monument aux morts de Gentioux (Creuse) commémorant la première guerre mondiale où un gamin en sabots dresse le poing en disant « Maudite soit la guerre ».
Cette année humaine je te l’entame avec cette histoire d’humanité simple recueillie en septembre 2017 [mon ordinateur est formel] dont j’ai oublié alors de noter où je l’avais glanée et à qui je l’avais empruntée. Si son auteur se fait connaître, il sera convié à venir manger la soupe à la maison. Macron ne peut pas comprendre ça. Et ses clones non plus.
Une année humaine.
Pas loin de chez moi y’a un chantier. Ils sont en train de construire je ne sais quel bâtiment après avoir rasé un vieux hangar. Ça fait bien deux mois que les ouvriers du bâtiment sont là tous les jours à suer dans la poussière juste à côté de la route. Et tous les jours y’a un petit papy, qui habite à 200 m, qui vient les voir. Il se plante devant le grillage et il commente.
Il a dû dire bonjour au bout d’une semaine. Avant il faisait juste un signe de tête. Petit à petit il a commencé à connaître un prénom, puis deux, puis trois.
Il dit pas grand-chose le papy mais quand il dit un truc c’est une question.
« Pourquoi que vous le mettez là ce machin ? »
« Pourquoi il creuse si profond ? »
« Il est pas venu Hassan aujourd’hui ? »
« Ça va où ce câble ? »
Alors bon, les ouvriers ils sont sympas, mais le papy, tous les jours il leur court sur le haricot. Comme s’ils avaient que ça à faire ! Le papy s’en fout, il est content : chaque après-midi, vers 17 h, il va faire son rapport d’expertise au tabac du coin.
Invariablement, il commence par la même phrase : « Ça avance bien, les travaux, là-haut. » Et il raconte, sourire aux lèvres, tous les détails dont il est le seul détenteur.
Mais la semaine dernière, sur le chantier devant la grille : pas de papy ! « Tiens, il est pas là, le vieux ? » finit par demander un des ouvriers. Un autre hausse ses épaules poussiéreuses. La journée passe. Pas de papy.
Le lendemain, pas de papy non plus. Les ouvriers ne disent rien mais fixent la ruelle par laquelle ce vieux relou arrive d’habitude. Rien. Troisième jour. Toujours pas de papy. À la pause déjeuner l’un des ouvriers craque : « Il est où notre vieux ? Faut savoir. »
Deux des ouvriers pleins de ciment arpentent la ruelle sans trop savoir où ils vont. Interrogent des gens qui ne savent leur répondre. À force de tourner, ils finissent au tabac. Le buraliste s’exclame : « Bébert ? Mais oui, je le connais ! Il a fait un malaise ! » Il leur file l’adresse de Bébert. Qui, le lendemain soir, voit débarquer chez lui toute l’équipe du chantier avec une bouteille de rouge.
« Ah ben ça ! » dit Bébert, qui galère pour ne pas pleurer.
« Alors, faut vous porter les nouvelles à domicile maintenant ? » lui dit Hassan.
Et maintenant Bébert raconte tous les soirs cette histoire au tabac. En plus de donner des nouvelles de l’avancée du chantier.
1938. Lys Gauty chante « Le bonheur est entré dans mon cœur ».