Il y a quelques temps paraissait dans les pages Rebonds du quotidien Libération un curieux billet intitulé : [« L’Europe doit être prête à la guerre »|http://www.liberation.fr/monde/0101570629-l-europe-doit-etre-prete-a-la-guerre] (Libération du 1er juin 2009). L’auteur, néerlandais, « directeur de la recherche sur la gouvernance mondiale », y évoquait crûment la nécessité de »« défendre » (notre) »modèle et » (nos) »valeurs » », d’en »« raviver la flamme » ». Et même »« d’être prêts à faire le sacrifice suprême » ».
Y étaient nommément désignés les ennemis possibles (la Russie, la Turquie) et les ennemis déjà clairement établis (l’immigration illégale, l’islam extrémiste, »« les armes nucléaires iraniennes » »). Peu de réactions autorisées à cette étonnante profession de foi guerrière, aucune prise de distance de la part de la rédaction de Libération. Juste les indignations éparses des inévitables « ronchons » du web. Pourtant, il est peu probable que ce silence puisse être assimilée à de l’indifférence. Plutôt à une résignation. Au moins pire. __Un forcing de la pensée unique dans les deux camps__ Aux lendemains des présidentielles iraniennes, la réaction d’Avigdor Lieberman, ministre israélien des Affaires étrangères, ne prêtait guère à discussion sur son intention de voler vigoureusement au secours des « valeurs » occidentales : appel une action rapide et »« sans concession » ». La signification de ce « sans concession » était claire comme l’explosion d’une bombe à uranium sur Gaza. L’arsenal de la communication (traduisez « propagande ») s’est mis ouvertement en branle. Les médias occidentaux y ont ouvertement choisi leur camp, avant et après les résultats, et participent activement à la lutte des opposants au régime, sans trop de souci de la déontologie journalistique. Certains responsables publics leur ont imprudemment embrayé le pas (Nicolas Sarkozy : »« L’ampleur de la fraude » (électorale iranienne) »est proportionnelle à la violence de la réaction » »). Enfin et pas des moindres, la crispation des esprits est manifeste. Qui fait désormais passer toute discussion argumentative en un lâcher agressif de slogans prédigérés. La position de l’autre n’est plus écoutée mais supposée, modelée, voire transformée pour caler au discours belliqueux ambiant. Il est intimé à l’interlocuteur de choisir son camp. Critiquer un tant soit peu le sien, c’est d’autorité abonder pleinement aux thèses de celui d’en face. La démesure du passionnel terrasse ce qui reste de raison. En face, évidemment, pas mieux : répression violente, arrestations arbitraires, mise au pas de la presse, déclarations provocatrices répétées et menaces à peine voilées contre le Grand Satan… __Les réalités géopolitiques occultées__ Cette plongée éperdue dans l’irrationnel et le passionnel fait dangereusement oublier des réalités géopolitiques guère favorables au camp occidental retranché. Pendant qu’un Bernard Guetta sur France Inter s’enflamme déjà pour la »« nouvelle révolution iranienne » », la plupart des États arabes avaient déjà chaleureusement félicité Ahmadinejad pour sa réélection, y compris les responsables de pays occupés comme l’Irak et l’Afghanistan. Lors de la fameuse conférence de Durban II sur le racisme, alors que les nations occidentales avaient déserté les travées de l’ONU, drapés dans leurs vertueuses indignations, tous les autres pays du monde, Chine comprise, applaudissaient à tout rompre le discours »« inacceptable » » du président Ahmadinejad. Sans souci des leçons du passé, voilà que nous faisons de Mir Hossein Moussavi un héraut de la nouvelle « modération » démocratique. Un peu comme les États-Unis avaient financé jadis Ben Laden pour contrer l’occupation de l’Afghanistan par l’Union soviétique ; et comme les Israéliens avaient aidé le Hamas pour se débarrasser d’Arafat. Avec les résultats désastreux que l’on sait. D’aveuglement en aveuglement, d’erreur répétée en erreur répétée, de fatwas en anathèmes de part et d’autres, le cadre de l’affrontement se dessine. Fort d’un arsenal juridique adapté pour museler toutes contestations (les « lois anti-terroristes » d’un côté ; la répression policière de l’autre), les deux camps fourbissent leurs armes et se font face. Ne manque plus que la petite étincelle. __Un processus difficile à enrayer__ N’y aurait-il alors rien ni personne pour arrêter ce rouleau compresseur mortifère ? Étonnamment, la seule lueur d’espoir réside dans celui qui vient d’être élu à la tête d’un des camps opposés, Barack Obama. Son parcours et sa démarche, même insuffisamment dégraissé de l’agaçant paternalisme yankee, est jusqu’à présent un modèle du genre dans ses relations avec ses partenaires, comme avec « le camp d’en face » : son déjà fameux « discours d’Egypte », sa main tendue à l’Iran (et sa réserve prudente, lui, quant aux résultats contestés des dernières élections de ce pays), sa fermeté affichée vis-à-vis de son encombrant allié israélien. Demeurent deux inconnues de taille : * le président américain saura-t-il résister aux pressions des faucons de son équipe, mieux en tout cas qu’il ne le fit contre les prédateurs financiers de Wall Street emmenés par son ministre du Trésor, Paul Geithner ?%%% * saura-t-il se désengager à temps des bourbiers afghans et irakiens, qui ruinent tout effort d’apaisement des tensions, font aujourd’hui passer le camp occidental pour le seul agresseur aux yeux des autres populations, et favorisent l’émergence des forces les plus obscurantistes, comme celles représentées par Mahmoud Ahmadinejad ? La très douloureuse période de crises multiples qui frappent la planète (économique, financière, énergétique, climatique…), la plongée dans l’irrationnel et le recroquevillement sur soi qu’entraîne le désarroi ambiant, n’incitent guère à l’optimisme. Mais ne devrait pas non plus contraindre à la résignation. Reste que le chemin à emprunter devient de jour en jour de plus en plus périlleux.