UNE CONSTITUTION POUR L’ÉCONOMIE (réponse à Paul Jorion et Jean-Claude Werrebrouck)

Tandis que le système néolibéral n’en finit pas de se désintégrer, quelques penseurs de qualité essaient de réfléchir à des solutions nouvelles pour tirer le monde du sale guêpier où les prédateurs financiers l’ont fourré. Avec une approche sensiblement différente mais un esprit similaire, [Paul Jorion|http://contreinfo.info/article.php3?id_article=2671] et [Jean-Claude Werrebrouck|http://contreinfo.info/article.php3?id_article=2667] essaient de mettre sur pied une nouvelle __constitution pour l’économie__. Tous les deux la situent à un niveau global,  »<< là où le pouvoir économique a déjà pris ses aises >> », note Paul Jorion. C’est sur ce point de la globalisation des solutions que je voudrais marquer, en toute modestie, mon désaccord avec ces deux personnalités.

En effet, je ne pense pas que la solution puisse se trouver aujourd’hui à un niveau global, c’est-à-dire sur le terrain même où les prédateurs ont voulu nous amener. Car, tout simplement, cette globalisation va voler en éclats sous la violence du naufrage en cours. C’est le syndrome du Titanic. J’ajoute que cette globalisation qu’on nous enrobe du sucre de la confraternité universelle, n’est même pas souhaitable. Comme on l’a vu, elle est surtout une porte ouverte à l’universalisation d’une dictature planétaire, celle aujourd’hui du néolibéralisme financier sans scrupule. Paul Jorion a raison de préciser que  »<< les financiers que l’on pouvait penser en déroute en raison du désastre dont ils ont été la cause,'' (ont pris) ''au contraire les rênes du pouvoir. >> » On le note tout particulièrement aux États-Unis où le président Obama s’est entouré de gens issus de la haute finance comme son actuel secrétaire du Trésor, Timothy Geithner. Mais c’est juste reculer pour mieux sauter. Car ils n’échapperont pas, eux non plus, au naufrage. Ils sont dans la cabine de pilotage, mais ne maîtrisent en réalité plus grand chose. Je ne sais quelle forme prendra la catastrophe. Je note avec effroi que le monde est désormais entré dans une logique de guerre. Cela s’est nettement vérifié lors de la dernière conférence onusienne sur le racisme. L’équipage occidental a déserté le navire des Nations-Unies. Et les propos qui se sont tenus dans les travées, sous les acclamations des « passagers » restants, n’avaient rien de pacifique ; pas plus que les réactions du clan occidental via ses médias officiels le lendemain. L’ONU, dont plus personne ne suit d’ailleurs plus les recommandations, est en train d’imploser comme feu la Société des Nations dans les années trente. Voilà pourquoi je ne crois guère à la possibilité d’une « constitution de l’économie » au niveau global. Non seulement pour les raisons que je viens d’évoquer. Mais pour la fait même que, précisément, ce sont les prédateurs financiers qui détiennent aujourd’hui le pouvoir. Et que je ne les vois vraiment pas en volonté ou même et surtout EN ÉTAT de négocier une telle charte déontologique. Pour ma part, dans le petit programme économique que j’essaie actuellement de mettre sur pied, je me place à un niveau post-crise, c’est-à-dire au moment où chaque pays devra reconstruire sur les ruines du système global actuel. Dans le plus médiocre des cas, cela se fera individuellement au niveau de chaque État. Ou, je l’espère de tout cœur, en collaboration étroite avec les pays voisins. Cela se déroulera au pire après la tragédie. Ou, si les hommes parviennent à surmonter leurs démons, avant une nouvelle plongée dans l’horreur. (Quoiqu’on puisse penser de certains de ses leaders, on note aujourd’hui quelques réactions d’envergure de ce genre en Amérique latine.) C’est en tout cas à cette seule solution que je crois nécessaire aujourd’hui de devoir travailler. D’aucuns la taxeront de « protectionniste ». Je pense plutôt, à l’instar de ce que proposait Emmanuel Todd dans son ouvrage  »Après la démocratie » (Gallimard), à un indispensable et vital réflexe de « protection » et de survie. ///html

Notes

Paul Jorion est sociologue et anthropologue ; il a travaillé durant les dix dernières années dans le milieu bancaire américain en tant que spécialiste de la formation des prix. Son blog.
Jean-Claude Werrebrouck est professeur d’économie à l’université de Lille 2, où il a dirigé pendant de nombreuses années l’IUT puis l’Institut du Management de la Distribution. Son blog.

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