Un voyage en Syrie par Jihad Wachill (7/7) : RETOUR À DAMAS, 30 avril 2018

Septième et dernier jour du voyage de Jihad Wachill en Syrie. Avec la rencontre d’un parti politique d’opposition dans le pays (eh oui, ça existe !).


30 avril 2018

Nous sommes censés aller à Douma, dans la Ghouta orientale ce matin. Toutefois, un peu échaudé par le déroulement de la journée précédente, je me suis ménagé un « plan B », à savoir une rencontre avec le responsable aux relations internationales du PCS (Parti communiste syrien).

Il se révèle assez vite que j’ai eu raison d’être dubitatif sur la faisabilité de notre excursion dans la Ghouta orientale, qui est finalement annulée. Il faut dire que mes doutes ne viennent pas du nulle part : le premier jour déjà, nous devions aller là-bas, programme qui a été annulé car notre chauffeur a « filé à l’anglaise » en comprenant où nous voulions le faire aller. Il s’est révélé que pas un chauffeur de taxi ou de minibus de Damas n’était prêt à aller là-bas, de peur d’éventuelles mines ou d’être réquisitionnés par l’armée sur le chemin. Bien que le chauffeur soit revenu par la suite, son évidente réticence avait ce jour-là fait pencher la balance vers un report. Cette fois, nous avions convaincu notre chauffeur du jour précédent, avec qui une relation de confiance s’était forgée, de rester à Damas et de nous accompagner le lendemain.

Malheureusement, une fois encore les choses ne se sont pas passées comme prévu : cette fois, c’est l’escorte militaire prévue pour nous accompagner qui nous fait faux bond. Après les tirs de missiles contre la Syrie de la veille, les services sécuritaires sont sur les dents et accompagner un groupe de Français à la Ghouta leur apparaît manifestement très secondaire, voire superflu sur le moment. De plus, les pluies diluviennes sur Damas et une partie de la Syrie les jours précédents ont pu rendre impraticables les tunnels creusés par les groupes armés islamistes qui tenaient le secteur précédemment. Je me rabats donc sur la rencontre que j’ai pris l’initiative de programmer avec le PCS, à laquelle je pars accompagné d’un camarade communiste français qui était aussi du voyage, mais aussi de deux autres membres du groupe, qui m’ont exprimé leur intérêt pour l’initiative. Pendant ce temps, une autre partie du groupe doit s’occuper de livrer les médicaments avec lesquels nous sommes arrivés à un hôpital de Damas.

Nous allons donc au siège du PCS à la rencontre de leur responsable aux relations internationales, le plus simplement du monde, en taxi et sans traducteur ni accompagnant. Si l’absence de traducteur a pu être un petit handicap au départ, elle se révèlera facteur de confiance et de liberté de parole au fur et à mesure. En plus de nous quatre et du responsable aux relations internationales du PCS (plutôt jeune au passage), un jeune cadre du parti assiste à cette entrevue. Le PCS analyse les événements en Syrie comme « un complot impérialiste et sioniste contre la Syrie », nous dit notre interlocuteur après nous avoir fait un rapide historique du parti. Nous nous attendons à ce moment-là à un discours très « langue de bois », mais nous serons agréablement surpris.

Il retrace à notre demande le début des événements en Syrie. Parlant des « groupes terroristes » apparus initialement autour de Homs et Derra (près des frontières libanaise et jordanienne), notre interlocuteur précise qu’ils ont fait dévier et dévoyé des aspirations populaires réelles en leur substituant des revendications réactionnaires sur le plan sociétal comme géopolitique. Pour lui, des réformes de libéralisation de l’économie ont créé un mécontentement populaire du fait de la régression des conditions de vie des milieux les plus modestes. Ce mécontentement fut catalysé et dévoyé par les « Frères musulmans » et les wahhabites. Le tout s’inscrivant dans un environnement régional hostile et le contexte des « révolutions arabes ». Mais l’agitation ne prend pas vraiment à Damas et Alep, se retrouvant vite cantonnée de fait dans les implantations historiques des « Frères musulmans » et parmi les émigrés syriens dans le Golfe revenus wahhabites.

Le scénario initial « à l’égyptienne » consistant à renverser Bachar al-Assad par un mouvement populaire d’ampleur fut donc un échec. Un « plan B » existait, consistant à créer un conflit interconfessionnel, puis déclencher un coup d’État militaire à partir de cadres corrompus achetés de l’appareil D’État pour « rétablir l’ordre ». Mais ce fut là encore un échec : d’abord, les sunnites de Damas et Alep ne se sont pas laissés entraîner dans cette dérive ; ensuite, le gros de l’appareil sécuritaire n’a pas suivi dans leur aventurisme les apprentis putschistes téléguidés. C’est alors un « plan C » qui fut enclenché : une fuite en avant dans la militarisation accompagnée d’une ouverture des frontières aux terroristes étrangers. Le tout avec le soutien de nombreux pays étrangers, les USA jouant le rôle de « chef d’orchestre », avec la volonté de provoquer une implosion de la Syrie. Ainsi, jusqu’à aujourd’hui, les régions d’Idlib et Deraa échappent en grande partie aux autorités syriennes.

Le but de guerre des USA en Syrie est comparé, de manière pertinente il nous a semblé, au « plan Dayton » en Bosnie-Herzégovine : un plan de partition présenté comme une « fédéralisation », sur fond de « nettoyage » ethno-confessionnel. Pour faire contrepoids, les Russes ont avancé comme alternative le processus d’Astana, reposant pour l’essentiel sur des « zones de désescalade ». Toutefois, notre interlocuteur se montre réservé voire critique à l’égard de ce processus d’Astana, faisant remarquer à juste titre le risque de finir avec une situation « à la chypriote », où le cessez-le-feu gèle la situation dans un fait accompli durable.

Notre interlocuteur ne nous cache par ailleurs pas sa perplexité par rapport au positionnement des Kurdes. Il reconnait que les Kurdes du PYD et des YPG ont vraiment combattu Daech et les groupes armés islamistes, et protégé la population de villes comme Hassaké contre eux. Il rappelle toutefois qu’à ce moment-là, le PYD et les YPG ont été fournis en armes par le gouvernement syrien et qu’ils auraient probablement été écrasés sans coopération de fait avec les autorités syriennes. Depuis, les USA interviennent pour monter les Kurdes contre le gouvernement syrien et les instrumentaliser pour dépecer la Syrie via la revendication de « fédéralisation », en leur promettant de les protéger contre la Turquie, promesse non-tenue au final, et leur fournissant des armes lourdes. Notre interlocuteur exprime l’espoir de voir le PYD se reprendre après Afrin, pour récuser ses accointances avec l’impérialisme US et négocier une autonomie dans le cadre de l’État syrien.

Pour résumer, le PCS défend la souveraineté du peuple syrien et l’intégrité territoriale de la Syrie, mais aussi des politiques sociales dans l’intérêt des travailleurs. Il est hostile à tout projet de sécession de la Syrie, même sous habillage « fédéral ». Ses priorités sont de repousser et éradiquer les groupes armés islamistes, faire partir les troupes d’occupation étrangères du territoire syrien, œuvrer à faire participer la population au processus de reconquête de la souveraineté à travers une démocratisation du pays, et la mise en œuvre de programmes sociaux pour améliorer la situation de la population. Nous constatons sur ce dernier volet que l’accent dans le programme social du PCS semble particulièrement être mis sur la population paysanne et rurale. Nous prenons congé de nos hôtes, avec l’impression d’un parti dynamique et pertinent sur le plan intellectuel, et à l’audience manifestement ascendante sur les deux dernières années.

Nous retournons en taxi à notre hôtel et faisons un tour au soukh pour faire quelques derniers achats. Nous repartons en soirée pour Beyrouth, la tête remplie de souvenirs inoubliables et avec l’espoir raisonnable de voir cette guerre se terminer dans les prochains mois et la Syrie renaître de ses cendres, raffermie dans sa pluralité et sa tolérance.

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