Un sondage qui enterre le principe de démocratie

Il en fallait un. Ils se sont précipités. Un sondage Ifop pour le Figaro « révèle » qu’une majorité écrasante de Français approuverait les mesures sécuritaires annoncée par le président de la République dans son discours de Grenoble du 30 juillet 2010, relatif aux citoyens « d’origine étrangère ».

La méthodologie douteuse du sondage Ifop n’explique pas tout

On peut bien sûr essayer de se rassurer à bon compte en mettant en cause la méthodologie (une enquête auto-administrée par Internet, ou Cawi, ce qui signifie que les sondés répondent eux-mêmes sans échange direct avec le sondeur). On peut pointer le caractère pernicieux des questions (le retrait de la nationalité française aux ressortissants d’origine étrangère « coupables de polygamie ou d’incitation à l’excision »).

On peut aussi imaginer ce qu’aurait donné un sondage demandant en 1940 aux Français « de souche » ce qu’ils pensaient des mesures de rétorsions contre ces Juifs qui pillaient leur nation et les appauvrissaient. Ou, au moment de la suppression de la peine de mort par François Mitterrand, ce qu’aurait été la réponse de « l’échantillon représentatif » à une question du genre :

« Êtes-vous favorable à la suppression de la peine de mort pour les assassins qui violent, écorchent et massacrent vos enfants ? »

Il est sans aucun doute évident que les commanditaires de ce sondage visaient ni plus ni moins à manipuler l’opinion et à faire taire le tollé médiatique soulevé par le discours de Grenoble. Ceci, hélas, n’explique et ne justifie pas tout.

La confirmation d’une montée des idées extrêmes

Il ne faut pas oublier que cette montée des idées extrêmes, ce repliement frileux sur soi-même, ce rejet déculpabilisé de l’étranger quel qu’il soit, ne datent pas d’hier. Et qu’ils vont grandissants.

La percée du Front National de Jean-Marie Le Pen date du début des années 80. Elle ne s’est jamais démentie depuis, bien au contraire.

Et c’est en reprenant les idées sécuritaires, les valeurs faisandées de ce courant d’extrême-droite, que Nicolas Sarkozy s’est fait élire à la présidence de la République par une majorité assez confortable d’électeurs, en toute connaissance de cause, une bonne vingtaine d’années plus tard.

Les limites du principe de démocratie

De telles évidentes dérives morales remettent en question l’idée même de démocratie. Celle-ci repose sur l’acceptation du fait majoritaire. Mais que penser de ce fait majoritaire quand il en vient à spolier aussi grossièrement les principes élémentaires de liberté, d’égalité et de fraternité ?

Les Grandes Crises ne balaient pas seulement les institutions financières, économiques ou politiques d’un pays. Elles contaminent aussi, on le voit bien avec les résultats ignominieux de ce sondage Ifop, les principes moraux de tout un peuple

Lorsque le pis-aller majoritaire devient inacceptable, nous poserons résolument ici que la conscience individuelle de chacun doit prévaloir sur un principe aussi outrageusement perverti.

<< Résister c’est créer, créer, c’est résister ! >> clamait et répétait encore une poignée de Résistants de la première heure. De toute l’histoire humaine, résister n’a jamais été un fait majoritaire. En l’état actuel des choses, notre conscience individuelle à nous s’en accommodera. Hélas !

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