UN POLAR AVEC RIEN QUE DES MÉCHANTS

((/public/Histoire_secrete_du_patronat2.jpg|Histoire secrète du patronat|L|Histoire secrète du patronat))Hé hé, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’ils ne se sont pas précipités au portillon ! Vous aurez beau chercher, vous ne trouverez pas grand chose dans les médias du microcosme sur le dernier ouvrage de Benoît Collombat et David Servenay,  »__Histoire secrète du patronat__ de 1945 à nos jours » (éditions la Découverte, 25 €). Rien dans le Monde, rien dans le Nouvel Observateur, rien dans Libération. Un article tout de même dans Marianne, un bref entrefilet dans le Parisien. Quelques passages chez les derniers trublions du service public radiophonique (Mermet, Manzoni). Mais black-out sur la lagardérienne Europe 1, sur RTL ou sur les plateaux télés.

__Un polar trépidant doublé d’un ouvrage de référence__ Les intéressés du Medef, eux, comme on pouvait s’y attendre, ont préféré piquer du nez dans leur potage en affectant l’indifférence. Pas étonnant, c’est du brûlot. Palpitant comme un polar (avec rien que des méchants), édifiant comme toute somme sérieuse et documentée sur un tel sujet. La règle veut qu’à cet instant précis, le « critique » donne deux ou trois citations croquignolettes pour appuyer ses propos. Eh bien, pas question ! Vous n’avez qu’à lire le bouquin vous-mêmes ! Je vous assure que vous ne le regretterez pas. Un conseil : si un jour, vous êtes amenés à participer à un débat avec la Parisot ou consorts, ouvrez l’objet à n’importe quelle page, vous les mouchez à tous les coups ! __Tous n’ont qu’un but : le pouvoir, tout le pouvoir__ Oh la clique de filous, oh le ramassis de malfaiteurs cyniques, oh la bande de fripouilles sans foi ni loi ni scrupule ! Pas un pour rattraper l’autre. Plus forts que leurs pires caricatures. Tous n’ont qu’un seul but : le pouvoir, tout le pouvoir, tout le fric, à n’importe quel prix, à n’importe quelle vilénie. Toujours frayant du sale côté du manche, comme pendant la période de l’occupation nazie. « Secrète », l’histoire en question ? Plutôt tue, cachée, enrobée sous les lénifiants et insipides discours. Bien sûr, ils s’en trouvera toujours pour avancer les quelques exceptions censées infirmer l’évidence, ou pour se planquer derrière les cohortes du petit patronat « populaire ». Mais il s’agit bien d’exceptions. Et nous parlons ici des méfaits « de masse » du grand patronat et de la haute finance. Faut-il que le commun soit crédule ou lâche pour se laisser berner depuis si longtemps par ces importants à cravates ? __Un excellent travail éditorial__ Il y a deux façons de lire l’ouvrage de Collombat et Servenay (les auteurs pilotent en fait une équipe à laquelle participent aussi Frédéric Charpier, Martine Orange et Erwan Seznec). D’une traite, comme on avale une bonne série télé (ce que j’ai fait, avec un rire sarcastique qui montait, montait…) ou en s’y référant parfois. Et les occasions ne manqueront pas dans les temps troublés à venir ou qui sait, avec un peu de chance, devant les tribunaux où ces malfrats ont toute leur place. On notera l’excellent travail éditorial avec une table des matières suffisamment détaillée et un index exhaustif pour s’y retrouver et y puiser ses références le cas échéant. Si l’ouvrage est dense (711 pages), les épisodes sont concis, aérés, assez courts pour ne pas contraindre le lecteur, la fatigue aidant ou la station de bus arrivant, à les interrompre au beau milieu d’un paragraphe. __Des leçons amères et politiques__ Plutôt que par quelques anecdotes croustillantes, je voudrais terminer par les leçons que l’on peut tirer d’une telle lecture. Elles sont à la fois amères (sur le constat des irrésistibles pulsions humaines à la « dominance »). Et politiques (sur les moyens d’en brider les dérives scabreuses). La première leçon, c’est que les êtres humains sont incorrigibles. Que l’appât du gain et du pouvoir est toujours plus fort que toute morale ou philosophie. Imaginer que les marchés tenus par ces mafieux vont se réguler d’eux-mêmes tient de la farce imbécile et de l’entourloupe à gogos. La seconde est qu’a contrario, nulle solution ne peut être attendue non plus d’un unique pouvoir politique d’État (pouvoir « populaire », je t’en fiche ! ) On retrouve systématiquement les mêmes margoulins aux manettes. Comme les ex-communistes soviétiques passés sans transition à la mafia russe. __Un équilibrage entre pouvoir économique et politique__ Le seul espoir tient dans une séparation bien tranchée, un équilibrage bien pesé entre pouvoir économique et pouvoir politique ou encore juridique. En bref, exactement l’inverse de ce que nous nous récoltons aujourd’hui, avec une gouvernance politique totalement corrompue. Et des corps institués (juridiques, syndicaux…) dont l’existence dépend si étroitement de la survie du système, qu’on comprend aisément leur prudente frilosité et leur quête d’accommodements.  »L’Histoire secrète du patronat » en fournit maints exemples. Voilà pourquoi les seuls rééquilibrages historiques entre ces différents pôles sont toujours intervenus lorsque ceux-là étaient en plein délitement (la Révolution de 1789, le Front Populaire, le Conseil National de la Résistance…) Or nous arrivons précisément à une de ces époques charnières. D’ici à ce que d’aucuns se décident à retrousser leurs manches et à armer la boîte à gifles… À ce titre, le livre de Collombat et Servenay est largement aussi subversif que le désormais célèbre  »[L’Insurrection qui vient|http://www.lafabrique.fr/catalogue.php?idArt=215] » (éditions La Fabrique).

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Un voyageur à domicile en quête d'une nouvelle civilisation.