Off Guardian : les 10 raisons pour lesquelles les Gilets jaunes sont une excellente chose

Nous vivons dans un monde où la démocratie est une menace et la liberté une punition, où vous ne pouvez pas distinguer une merde d’un diamant, où la 5G est encensée alors même qu’elle menace de nous tuer, où l’éthique qui prévaut est celle du consommateur soupçonneux et où quiconque s’élève contre le bellicisme et la guerre éternelle est considéré un monstre.

Qui croire ? Tout ce dont vous étiez certains à propos de la Démocratie, de la liberté, du droit à la liberté de parole, des informations télévisées, tout cela est non seulement dynamité, mais en réalité, vous revient en pleine figure. La démocratie dans l’Ukraine sous contrôle de nazis, les rebelles djihadistes modérés, pas de démocratie en Russie ou au Venezuela, malgré le relevé d’empreintes digitales sur les électeurs et des caméras dans les cabines de vote, et cette voix qui dit que ce sont des élections justes, et quelques d’autres qui disent que la France n’est pas une démocratie et vingt autres affirmant qu’ils ne le sont pas, et que des groupes de droite s’en vont par les rues, et ces produits chimiques dans leur nourriture, et vous qui oubliez de brancher la wi-fi chez vous avant de vous rendre à une réunion ou de charger votre téléphone, et, et… hum… je crois que me suis perdu en écrivant, là.

Vous garder sous pression, voilà ce que cherche l’empire néolibéral. Avant tout, vous êtes censé être un citoyen actif bourré de capital social, capable d’exprimer son opinion sur n’importe quel sujet au pied levé.

La sécurité ontologique, tout le monde en a besoin, mais pour le moment, il y en a peu, surtout dans les grandes métropoles. Pas étonnant que les gens soient confus et effrayés, marchant à reculons vers le futur, enfoncés dans la boue jusqu’aux genoux en rêvant que par miracle tout revienne – « s’il vous plaît ! » – à la normale.

Alors, au milieu de cette tour de Babel, résolvons une énigme pour vous.

Voici dix raisons pour lesquelles les Gilets jaunes [en français dans le texte, ndlr], à la différence des révolutions de couleur parrainées par les États-Unis, sont une excellente chose, je veux dire, l’expression directe du peuple français.

1. Ils ne sont pas dans l’abstraction et l’idéalisme : l’abstraction est le langage du pouvoir, de la hiérarchie et de la représentation. L’abstraction et son utilisation dans un contexte politique sont ce qui unit tous les régimes politiques, qu’ils soient communistes, nazis ou néolibéraux. Les Gilets ne sont pas de cette école. Leurs revendications sont simples et concrètes : réduction des frais de péage, interdiction des bouteilles en plastique, cessation des retraits obligatoires dans des comptes bancaires personnels, cessation de l’obsolescence programmée dans les biens de consommation, pour n’en nommer que quelques-uns. Ce que ces revendications énoncent est une vision du monde enracinée dans la vie immédiate des gens. Les Gilets Jaunes disent des choses comme :

« Je suis dans la merde, je travaille 2 heures par jour pour un petit salaire de 240 euros/mois avec un supplément CAF ! »

Et Macron dit :

« J’ai toujours assumé la dimension de verticalité, de transcendance, mais en même temps elle doit s’ancrer dans de l’immanence complète, de la matérialité… » (Macron, JDD, 12 février 2017)

2. Le black-out des médias grand public : il suffit d’aller sur les sites web des Gilets pour constater la violence infligée aux Gilets jaunes. Cela apparaît-il dans les médias grand public ? Le bruit court qu’une D-notice [instruction officielle interdisant aux médias britanniques d’évoquer un sujet sensible] aurait été émise en Grande-Bretagne interdisant toute mention positive des Gilets jaunes. En France, c’est pareil. Les médias évoquent à peine les foules immenses qui défilent dans presque toutes les grandes villes et ne parlent jamais de leurs revendications. Les médias mainstream mettent en scène de nombreuses révolutions de couleur, en particulier à destination des publics d’Europe occidentale et autres pays pro-occidentaux, comme on le voit actuellement pour le Venezuela. À côté de ce simulacre de révolution de couleur, c’est le black-out pour les Gilets jaunes. Tirez vous-mêmes votre propre conclusion.

3. Les Foulards rouges : en eux-mêmes, ils sont peu importants, leur nombre a été exagéré et leur action ne tient pas sur la durée. Mais à un niveau plus profond, l’émergence des Foulards rouges représente un jeu très dangereux de Macron. La société française a longtemps été exposée aux mouvements violents de droite : la crise du 6 février 1934 [manifestation d’extrême droite qui entraînèrent presque la chute du gouvernement], la guerre sanglante des milices de Vichy contre la résistance anti-nazie (conflit que beaucoup de Français considèrent comme une guerre civile) et enfin l’OAS au début des années 60 en sont des exemples. Des séquelles de ces moments historiques apparaissent actuellement dans les rangs des flics voyous, la « Spéciale Castaner », cette milice recrutée par Macron pour faire preuve de violence contre les manifestants. Ces « flics hors-la-loi » [en français dans le texte] ont été de toutes les manifestations récentes. Encore une fois, tirez vos propres conclusions. Leur présence témoigne du désarroi de l’État, de l’authenticité des Gilets et de leur pouvoir social croissant.

4. L’absence de célébrités ou de leaders. Même après 12 manifestations et 3 mois d’agitation, il n’y a toujours pas de porte-parole, de dirigeants ou de célébrités « parlant » au nom du peuple. Cela montre que le mouvement est véritablement populaire.

5. La démonstration que les mondialistes n’ont aucune autre réponse que la violence. Ce qui se passe actuellement en France, c’est un conflit entre deux visions du monde qui n’ont rien à se dire. Ceci est illustré par la marginalisation de Marine Le Pen et de l’opposition parlementaire officielle. Contrairement aux révolutions de couleur, il n’y a aucune alternative clairement désignée officiellement. À Washington, personne n’a désigné de Gilet présidentiable et, s’ils l’avaient fait, personne n’en aurait tenu compte. Ainsi, le côté ritualisé de la politique parlementaire contemporaine a été révélée de manière frappante ; tous les députés français, quelle que soit leur allégeance, sont assimilés au néolibéralisme globalisant.

Il est clair que Macron n’a aucun moyen de parler aux Gilets. Sa récente déclaration selon laquelle, lui aussi, voulait une augmentation de salaire (notez le mot salaire) et qu’en cela lui aussi était un Gilet tend à le rapprocher, dans sa relation avec la réalité, des malades mentaux. Le néolibéralisme est la vision du monde de l’élite et des puissants. Comme certains l’ont noté, c’est une guerre de classes contre les pauvres. Tout ce qu’ils peuvent offrir aux Gilets jaunes, c’est le même vieux discours. L’incompréhension de l’élite et son isolement vis-à-vis du peuple français apparaissent clairement dans chacun de ses mots. La Puissance est emprisonnée dans son propre univers symbolique, les rendant incapables de saisir les exigences de l’expérience vécue telles que les expriment les Gilets jaunes. En cela, le gouvernement Macron ressemble aux djihadistes syriens dont les revendications étaient incompréhensibles pour la grande majorité du peuple syrien et ne pouvaient, en tant que telles, être appliquées que par la violence.

6. La confusion chez les intellectuels. La tradition intellectuelle occidentale, en particulier dans les sciences sociales, n’a aucune idée de la façon de remédier à la stagnation économique, politique et culturelle qui touche actuellement les pays occidentaux. Le prestige continu de l’académie est davantage dû à l’habitude, au carriérisme et au soutien de l’État qu’à tout engagement vécu. Des intellectuels tels que Bernard-Henri Lévy ont été régulièrement cooptés pour donner un voile de respectabilité aux aventures meurtrières menées en Syrie, au Venezuela, en Libye.

Simultanément, les opposants universitaires sont discrètement réduits au silence par les purges et les diffamations dans les universités françaises, australiennes et britanniques. De plus, la concentration sur Paris des intellectuels français, en particulier les commentateurs sociaux, reflète exactement la centralisation du pouvoir politique. En fait, ils sont si intimement liés qu’il est difficile de les distinguer. C’est pourquoi les intellectuels français, à l’instar des hommes politiques, lâchent en rafales les mêmes accusations, toutes droites sorties d’un argumentaire : le racisme, le populisme, le fascisme, l’antisémitisme, l’ingérence russe, etc. En réalité, ils rassemblent tout ce qu’ils peuvent pour déchiqueter l’adversaire en deux minutes. Inutile de dire que les Gilets jaunes s’en fichent.

Il y a un vieux dicton Sioux Lakota qui dit : un oiseau a besoin de deux ailes pour voler. Ainsi, dans la politique mondialisée du XXe siècle, la droite plaide en faveur de l’économie, la gauche parle de moralité et à la fin, nous avons simultanément une soif de compassion-antiraciste-antisexiste-néolibérale-verte-moderne et dynamique. À mettre toutefois en œuvre un peu plus tard. Les articles de gauche sur les Gilets relèvent invariablement du docte conseil et de l’analyse savante. Pareillement, ces articles passent à côté de l’essentiel. Un peu comme quand des idéologues moribonds et leur haute caste de prêcheurs sont confrontés à une expérience vécue.

7. La disparition de groupes de droite dans la rue : je soutiens, sans aucune preuve concrète je reconnais, que l’UKIP, Tommy Robinson en Grande-Bretagne, One Nation en Australie et même Macron lui-même, sont toutes des créatures de l’État profond, et financées par lui. Sur ce sujet, on peut aussi d’interroger sur la mouvance Antifa. L’ancien Premier ministre australien, Tony Abbott, a reconnu publiquement que, durant son mandat de ministre du gouvernement Howard, il était littéralement le porteur de valises pleines d’argent à destination du parti One Nation. Certains des groupes énumérés ci-dessus sont violents. D’autres sont créés pour disperser le vote travailliste. En tout état de cause, des groupes de droite jusque-là très médiatisés ont pratiquement disparu des manifestations hebdomadaires, peut-être dépassés par une volonté populaire non capitalisée.

8. La présence de nombreux baby-boomers et retraités précaires : ce type de personnes n’assiste généralement pas aux manifestations parce qu’elles sont trop occupées, trop âgées, s’en moquent ou sont rebutées par une violence policière sciemment orchestrée dans ce but. Pourtant, ils constituent la majorité des habitants des ronds-points, notamment en dehors de Paris. Leur présence vous dit tout sur la véracité de ce mouvement.

9. Les nouvelles des médias mainstream ne sont pas retransmises chaque soir à Washington pour analyse par des experts. Il s’agit d’une pratique opérationnelle standard pour les révolutions de couleur dans des pays lointains, principalement parce que les dirigeants de tels coups d’État résident souvent à Washington sur des subventions du National Endowment for Democracy.

10. Il n’y a ni gauche ni droite. Ceci est souvent commenté négativement, comme s’il s’agissait d’un échec. Rien ne répond mieux à cela que ce post Facebook lu sur un site de Gilets :

« Regardez la tête de Jupiter ! Il ne sait pas quoi faire. Il a essayé le racisme, l’immigration, le matraquage, les gangsters, les blessures, la violence policière, la prison, le tabagisme, la répression, le mensonge et nous sommes toujours là !!!!! Nous ne lâchons rien et continuons tous ensemble sans laisser personne de côté. Ce n’est pas facile. Nous sommes tous différents avec des idées différentes, mais nous avons un objectif commun : nous appartenons à une grande famille, nous nous querellons, mais nous nous retrouvons chaque semaine, samedi, dimanche et soir, lorsque nous le pouvons et oublions nos différences. »

La diversité est l’un des mots clés du néolibéralisme, mais si nous réfléchissons à ces termes, nous devons également rappeler l’axiome de Nietzsche selon lequel les choses ne sont dites que lorsqu’elles disparaissent. Cependant, avec les Gilets, nous avons un exemple de vraie diversité, différente à tous égards de l’usage néo-libéral habituel dont on nous abreuve tous les jours.

La raison fondamentale pour laquelle les Gilets jaunes diffèrent de toute révolution de couleur, voire de toute révolution majeure du XXe siècle, est précisément la manière dont cette diversité alternative fonctionne. Les Gilets construisent leur système de compréhension à l’intérieur de leur propre sphère « où chacun voit l’autre tel que l’autre le voit » (Arendt 1958). Et ils le construisent par leurs discussions.

De plus, ce système de compréhension mutuelle est sous leur contrôle et partagé par les Gilets quelles que soient leurs différences. Comme l’écrivain le dit : « Nous avons tous des idées différentes, mais nous avons tous un objectif commun. Nous sommes tous dans une grande famille, nous nous querellons, mais nous nous rencontrons chaque semaine. » Cette socialité fait sens en tant que résultat d’un collectif et ces signifiants collectifs restent sous le contrôle des Gilets qui les ont créées . Les différences, par exemple en ce qui concerne la candidature aux élections au Parlement européen, sont simplement tolérées.

La diversité des réponses et des opinions est considérée comme une force et non une faiblesse. Il n’existe pas de modèle idéologique applicable à tous les contextes. Au lieu de cela, comme l’a déclaré un ex-anonyme français d’Intel sur Le Media la semaine dernière, un rond-point est rempli de jeunes, un autre de black bloc, un autre de personnes âgées et ils parlent tous entre eux. À travers cette socialité et ces points communs, le sens est produit et ensuite maintenu en commun parce que les participants dans des contextes variés et infinis (espaces d’apparence) et par des actions répétées de socialité construisent ces sens en commun. L’accent est mis sur leur intérêt commun, à savoir l’impossibilité d’exister dans la France d’aujourd’hui. Tout le reste est du pipeau.

Chaque semaine, cet ensemble de significations collectives est soutenu, développé et maintenu à travers plus d’actions de socialité, plus de discussions. Les significations communautaires établies et mises en pratique de cette manière produisent un pouvoir social. Parce que la mise en pratique de significations collectives est précisément ce qui constitue un pouvoir social !

De plus, cette unité dans la diversité pulvérise totalement les mots diabolisants et discréditants inventés par les médias et les mondialistes au cours des trente dernières années comme moyen de diviser pour régner. Ces mots inventés pour dénigrer des groupes de la société – les fainéants, les vaincus, les terroristes, les antisémites, les bots russes, les racistes, les sexistes et n’importe lequel de cette pléthore de mots appliqués par l’État et les médias mainstream à tous ceux qui menacent la façade du néolibéralisme – sont tout simplement ignorés. Comme beaucoup d’autres choses, les Gilets refusent tout simplement de les reconnaître.

Je ne sais pas ce que l’avenir nous réserve, mais je sais que toutes ces raisons, prises ensembles, prouvent que les Gilets jaunes constituent le véritable compromis pour un véritable changement. Non seulement en France, mais aussi dans la manière dont le reste du monde conçoit et pratique la politique.

David Studdert

=> Source : Off Guardian (site britannique de lecteurs déçus du Guardian) ; traduction (très libre et très rapide, mais vous me corrigerez) : Pierrick Tillet

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