Sortir du paysage dévasté de la représentation politique française

L’enjeu des européennes, écrit Jacques Sapir dans un tweet, était de « tester des lignes politiques ». Eh bien, c’est tout testé : les lignes sont brisées, le paysage dévasté, les vieux appareils inopérants et stériles.

Si la participation a augmenté lors de cette édition 2019 par rapport à celle de 2014 (record absolu d’abstention), elle reste minoritaire : 47,85% seulement de suffrages exprimés hors abstention, votes blancs et nuls (source : gouvernement). Et encore faudrait-il distinguer dans cette « expression » la masse de ceux qui ne votent plus depuis longtemps pour quelque chose, mais pour foutre sur la gueule à une autre. Encore faudrait-il se rappeler les quelques 12,5% de non-inscrits sur les listes électorales, découragés du politique comme certains chômeurs le sont de Pôle-emploi. Quant à la formation au pouvoir, elle ne fédère guère plus de 10% des électeurs inscrits, en gros, ces 10% de favorisés qui se recroquevillent sur leurs intérêts de classe.

Du côté de l’opposition, la réaction des « militants » est à la mesure de leur aigreur : vociférante à l’égard de tout ce qui est en dehors de leur vase clos. Remplir des salles de meeting surchauffées n’est pas remplir des urnes. Et ce n’est pas les appels usés de quelques-uns à une antique union de la gauche qui va changer quoi que ce soit à ce marasme.  L’union des militants n’a jamais fait l’union des électeurs, ou ça se saurait.

La piste de la démocratie directe ouverte par les Gilets jaunes

Les cons d’électeurs qui n’ont rien compris, les Gilets jaunes ingrats qui ont voté RN (d’après quelle étude, svp ?), les abstentionnistes irresponsables qui font le jeu de l’ennemi et n’ont rien à dire (sinon qu’ils n’ont plus rien à voir avec la sphère très limitée du militantisme vociférant) vont devoir trouver d’autres pistes politiques pour sortir du merdier dans lequel ils sont aujourd’hui plongés.

Après six mois de rapide maturation politique, les Gilets jaunes ont ouvert quelques voies intéressantes en matière de démocratie directe :

  • un programme basique de justice sociale ;
  • le RIC ;
  • des ateliers constituants…

La piste de la démocratie directe, qui était l’apanage de la cité antique à cadre géographique restreint, est redevenue tout à fait envisageable à l’ère des réseaux de communications rapides et interactifs. En tout cas certainement plus acceptable qu’un cirque électoral poussiéreux où les organisateurs ne sont même plus foutus d’acheminer tous les bulletins dans les bureaux de vote, comme ça s’est vérifié le 26 mai. La solution via internet que l’administration a imposé à tous pour les déclarations de revenus est tout aussi recevable pour les consultations politiques. Ces pistes apparaissent sans doute critiquables à certains, le problème est que les citoyens n’ont plus d’autres choix pour refonder une vie politique décente.

Une reconstruction qui se fera inévitablement par des moyens, disons, vigoureux

Reste à trouver les moyens pour ouvrir ces nouvelles pistes. Il est clair que les forces politiques délabrées du monde d’avant feront tout pour s’y opposer. Et que les formations d’opposition traditionnelles sont bien incapables d’ouvrir quoi que ce soit.

Que les Gilets jaunes n’aient rien obtenu en six mois de lutte n’est en soi guère surprenant. Si leurs revendications sont désormais clarifiées, si leurs 28 premiers actes ont démontré leur évidente détermination, ils n’ont pas encore trouvé les moyens de renverser les forces réactionnaires qui s’opposent à leur avancée.

Paradoxalement, il se pourrait que le vieux système politique représentatif en état de désintégration avancée les y aide à l’insu de son plein gré. D’une part parce que celui-ci, sur la défensive, ne réagit plus que par pulsions violentes beaucoup plus liées à l’expression d’un désarroi qu’à une manifestation de puissance. D’autre part, parce que, loin d’améliorer la situation de la population en révolte (Gilets jaunes précarisés, mais aussi personnels de santé exténués, éducateurs exaspérés, défenseurs de climat alarmés, salariés spoliés par la destruction de leurs protections sociales…), il ne peut plus guère que l’envenimer et l’exacerber.

Les solutions qui s’imposeront alors inévitablement à des émeutiers n’ayant plus rien à perdre seront tout sauf tendres et bienveillantes, mais un tantinet radicales et un brin, disons, vigoureuses. Là encore, il apparaîtra très vite que les citoyens n’ont plus d’autres choix que d’utiliser ces moyens énergiques dont le camp retranché d’en face abuse déjà pour sauver son ordre dépravé.

=> Photo : 2ème Assemblée des assemblées à Saint-Nazaire les 5, 6 et 7 avril 2019

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