SOCIOLOGIE-PAILLETTES CONTRE SORDIDE DU QUOTIDIEN

La télé a vraiment le chic pour confiner la réalité à l’univers clos de ses studios de tournage. Voilà qu’une émission propulsée à grands renforts de bande-annonce tonitruante et de titre ronflant ( » »Le Jeu de la mort » », diffusé sur France 2) prétend nous éclairer sur nous-mêmes et nos méchants instincts, quand elle ne traite que d’une « réalité » purement télévisuelle.

Ainsi donc, nous serions tous prêts à nous prostituer et à nous soumettre au pire sous prétexte qu’une bande de jeunes imbéciles participent avec un zèle électrique à une émission à la con. Et seraient censés être représentatifs de toute l’humanité. [L’expérience de Milgram|http://fr.wikipedia.org/wiki/Exp%C3%A9rience_de_Milgram] revisitée à la lumière des projecteurs et du spectaculaire à paillettes. On notera que la télé-réalité n’en est pas à son coup d’essai avec ces volontaires surjouant devant caméra leurs rôles supposés du quotidien (le syndrome Mireille Dumas). On remarquera aussi que les réalisateurs de ce dernier documentaire « coup de poing » ont cru bon eux aussi de justifier (et de pimenter) leur spectacle d’intentions moralistes un brin gluantes. Aussi convaincant que ces campagnes de sécurité routière prétendant lutter contre l’inconscience des chauffards en étalant la sanguinolence écœurante d’accidents fictionnels. Il serait intéressant de savoir quelle proportion, parmi les spectateurs de ce  » »Jeu de la mort » » en deux épisodes, regardait l’émission pour sa leçon de morale. Et combien parmi eux cherchaient juste à mater quelques croquignolesques séances de torture complaisamment détaillées. __ »« Le vernis de la civilisation a volé en éclats… » »__ L’objectif n’est pas ici d’invalider le travail de Milgram, hélas, même revu par les bonimenteurs médiatiques. Le professeur Laborit affirmait lui-même en son temps que le cerveau humain servait surtout pour son propriétaire à justifier, à « habiller » décemment ses plus scabreuses pulsions. Mais paradoxalement, en poussant à ce paroxysme caricaturale notre pseudo-réalité quotidienne, les médias masquent surtout nos saloperies de tous les jours et nos lâchetés à bon compte. La démission confortable de notre esprit critique devant une pensée unique de plus en plus déplorable, une déliquescence morale généralisée qui participe aujourd’hui de plain-pied à la Grande Crise qui nous frappe. Tandis que nous ergotons à l’envie sur le documentaire tapageur de Christophe Nick, qui s’indigne de l’ouverture très prochaine d'[un nouveau centre de rétention « ultra-moderne » près de Roissy Charles-de-Gaulle|http://torapamavoa.blogspot.com/2010/03/l-industrie-de-l-expulsion-est-en.html?utm_source=feedburner&utm_medium=email&utm_campaign=Feed%3A+Torapamavoa+%28Torapamavoa+le+Blog+anti+Sarkozy+qui+blague+pas+!%29] ?  »« Totalement déshumanisé » » (selon la Cimade qui l’a visité), entouré de barbelés, de chemins de ronde et d’une tour de contrôle (on appelait ça en d’autres temps « mirador »), interdisant toute intimité par des caméras de surveillance en pagaille et des détecteurs de mouvements, portes de chambres vitrées livrées à la vue du moindre maton, nous voici rendu à notre horreur quotidienne, bien réelle celle-là. Mais sans plus aucune morale sirupeuse ni prétexte expérimental à la clé. Juste notre indifférence soumise. Pourquoi me revient-il à l’esprit ce constat terrible entendu dans un autre documentaire récemment diffusé par Arte, d’une toute autre trempe celui-là :  »[« The War »|http://fr.wikipedia.org/wiki/The_War] » de Ken Burns et Lynn Novick, qui contait toute l’histoire de la Seconde guerre mondiale à travers le destin de quatre villes américaines. Depuis le champ de bataille, l’un de ces anciens combattants américains, « libérateurs » de notre monde moderne, écrivait aux siens : >  »« Le temps n’a plus de sens, la vie n’a plus de sens, le vernis de la civilisation a volé en éclats et nous sommes tous devenus des sauvages. » »

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Un voyageur à domicile en quête d'une nouvelle civilisation.