Tunisie : une évolution historique naturelle selon Emmanuel Todd

RV des civilisations Très intéressante analyse  de la révolution tunisienne par Emmanuel Todd (Libération du 17 janvier). Pour Todd, celle-ci tient à une évolution historique naturelle induite par un phénomène rapide de modernisation éducative et démographique.

« Une évolution déterminante, car l’histoire montre la concomitance de trois phénomènes : alphabétisation, baisse de la fécondité et révolution. »

Or, note Todd, la Tunisie a pratiquement achevé son alphabétisation (94,3% pour les 15-24 ans) et le taux de fécondité y est un des plus faibles au monde (2 enfants par femme en 2005).

L’islamisme, soubresaut régressif face à l’émancipation éducative

Pourquoi lier cette évolution du taux de fécondité à l’émancipation ? Parce qu’elle marque un détachement réfléchi vis-à-vis de religions toujours résolument pro-natalistes, explique Todd dans un ouvrage co-écrit avec le démographe Youssef Courbage : Le rendez-vous des civilisations (éd. Seuil/République des idées 2007).

À contre-courant de l’idée reçue, Todd et Courbage y prédisent non pas un choc des civilisations, mais une convergence d’icelles, pays arabes compris. Les Tunisiens sont en train d’en offrir un exemple frappant, en donnant une véritable leçon d’émancipation politique aux pays occidentaux abasourdis.

Ceux-là tentent bien de bégayer à la face du monde le danger d’islamisation sous-tendu. Mais Todd et Courbage leur avaient déjà répondu : l’intégrisme islamique n’est qu’une des ultimes réactions de rejet par un corps social malmené dans ses traditions. De fait, nulle présence islamiste dans les rangs des manifestations tunisiennes.

Pire, ces soubresauts réactifs rétrogrades, appelés à disparaître, sont souvent amplifiés par les propres excès d’un prétendu camp du progrès en pleine déréliction. On le voit encore avec les réactions ridicules et pathétiques des dirigeants occidentaux, français en particulier, devant le camouflet fait à leur protégé Ben Ali.

À l’aube de grandes mutations planétaires

Mais au fait, me direz-vous, pourquoi ce déclin civilisationnel du camp occidental puisque celui-ci a depuis longtemps rempli les critères de progrès (éducation, fécondité) établis par Todd et Courbage ? Tout simplement parce que celui-ci subit les incontournables ravages du temps.

Comme la matière, le temps érode les produits de l’intelligence humaine, les sclérose et pour finir les décompose. Durant l’agonie, mêmes symptômes régressifs (Bush, Berlusconi, Sarkozy…), suicidaires (Afghanistan, Irak…), jusqu’à la paralysie et l’impuissance (ONU, G8, G20…).

Il est clair que nous sommes aujourd’hui à l’aube de profondes mutations planétaires. Aspiration au progrès contre pulsions auto-destructrices suicidaires, émancipation éducative contre avidité de puissance et de pouvoir, la lutte fait rage, à l’issue incertaine.

Mais quelle que soit cette issue, permettez que nous préférions nous indigner des régressions agressives imbéciles pour nous engager sans hésitation aucune dans La Voie (titre du tout dernier opus d’Edgar Morin, éd. Fayard, dont nous reparlerons) initiée par nos amis tunisiens (ou encore boliviens dans une autre partie du monde).

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Un voyageur à domicile en quête d'une nouvelle civilisation.