Robert Fisk : Trump n’apportera pas la paix au Moyen-Orient cette année, bien au contraire

Une présidence bâtie sur des fondations aussi faibles ne contribuera guère à faciliter les négociations entre Israël et les Palestiniens et a déjà fait empirer les choses.

Il ne sert plus à rien de parler de Donald Trump ou de la politique étrangère américaine. Ils n’existent pas. En effet, la « présidence » de Trump est à peu près aussi réelle que « la Palestine ». Les deux méritent leurs guillemets, sauf que le premier représente clairement les Américains blancs et majoritairement chrétiens essayant de rendre leur pays encore plus grand aux dépens des créatures inférieures ; alors que le second – qui n’est même pas un État – est qualifié par Trump de « pays de m… », avec un son peuple pas exactement blanc, en grande partie musulman et où nombreux sont ceux qui cherchent à échapper à l’asservissement de la plus longue occupation militaire des temps modernes. Je ne parle pas de la Norvège, mais d’Israël.

Donc, dans l’esprit dérangé du dingue qui pense diriger les États-Unis, il n’y a certainement pas de paix à attendre entre un allié moderne et bienaimé et le tiers monde forcé de vivre dans des fosses à fumier plus à l’est et au sud. Jérusalem est ainsi la capitale d’Israël, l’Oslo du Moyen-Orient, bâtie sur la « colline verte au loin » – bien que dans l’hymne, elle soit censée être « sans muraille ». Mais quoi, Trump aime les murs, et Cecil Frances Alexander, la créatrice irlandaise  qui composa au 19ème siècle l’hymne intitulé « Il y a une colline verte au loin » a également écrit « Tout est brillant et beau » en anticipant très certainement le cinglé de la Maison Blanche qui parle si éloquemment de « beaux bébés » (en Syrie, quand ils sont morts) et de « belles armes  » (à Riyad, avant qu’elles aient tué des bébés).

Dans l’asile d’aliénés

En fait, pour parler du Moyen-Orient de Trump, il faut entrer dans l’asile d’aliénés. Après tout, « la Palestine » n’est pas un État et Israël, qui en est un, n’a pas la moindre idée des limites de sa frontière orientale. Au milieu de Jérusalem ? À mi-chemin de la Cisjordanie palestinienne ? Sur toute la longueur du Jourdain ? Et qu’en est-il de ce pauvre Gaza ? Lorsque les Israéliens ont bombardé l’endroit en 2008-2009 (ils ont récidivé en 2012 et 2014), ils ont largué des bombes sur le réseau d’égouts palestinien et ont contaminé l’eau potable et la mer avec… Eh oui, effectivement, ils ont littéralement transformé toute une partie de Gaza en pays de m…

Même Jared Kushner, le beau-fils bien-aimé, magnat de l’immobilier et négociateur suprême – un héros dickensien lamentable s’il en est – ne pourrait pas délimiter cette propriété particulière du Moyen-Orient, ni d’ailleurs les divers parties de l’ensemble. Depuis, en accord avec l’ambassadeur des États-Unis en Israël, Kushner soutient la colonisation juive de la Cisjordanie arabe – et, croyez-moi, il n’y a pas de fosses à m… dans ces colonies – même s’il est incapable de nous en indiquer exactement la frontière orientale d’Israël, pas plus aujourd’hui que demain, éternellement et à jamais, amen.

Et c’est bien le problème, je le crains, pour le fou furieux du bureau ovale. Une grande partie du monde est une terre de « vapeurs » – du genre qui vous affecte le cerveau (Trump pourrait consulter Caliban à ce sujet) – et d’apparitions. Le Moyen-Orient, comme nous le savons tous, est un lieu de djinns, de fantômes, de Croisés, de Sarrasins, d’Apocalypses, de 12èmes imams, de figures du Christ et d’hommes barbus dans des grottes. Mais tous ont plus de chances d’apparaître ou de réapparaître dans la deuxième année de la « présidence » de Trump qu’une paix entre deux États dont les dimensions physiques sont bien au-delà de la compréhension de Jared et de ses « compagnies Kushner ».

Reconnaître tout cela a un prix, bien sûr. Plusieurs fois, tout dernièrement à Dublin, j’ai souligné – dans des discussions sur le Moyen-Orient, en particulier quand le gouvernement US a déclarée que Jérusalem était la capitale d’Israël – que Donald Trump était fou, cinglé, toqué, et méritait d’être interné dans un établissement psychiatrique. À chaque fois, des présentateurs ou des producteurs télé m’ont rappelé que je n’étais pas qualifié pour dire ceci puisque je n’étais pas médecin. Je trouve cela étrange. Si, par exemple, j’avais déclaré que Trump était tout à fait sain d’esprit et raisonnable, je ne pense pas qu’on m’aurait rappelé mon manque de qualification médicale. Pareil si j’avais qualifié (comme je l’ai fait) Mouammar Kadhafi de fou, ce qu’il était.

Mais vous devez faire attention à ces Trumpistes qui surgissent pour vous traiter de « fakes news » et qui effraient les éditeurs de stations radio. Le respect continu par les médias du « fair play » lorsqu’ils discutent d’un président qui est de toute évidence un xénophobe dangereux et raciste (par opposition, par exemple, à la variété arabe) devrait un jour être examiné. Kadhafi, fou. Ahmadinejad, fou. Abou Nidal, fou. Saddam, fou. Mais essayez de dire cela de Trump et, hum hum, vous devrez produire le certificat de votre médecin généraliste vous autorisant à faire de telles allégations contre cette personne infantile.

Un endroit plus brutal et plus cruel

Alors ne soyons pas dupes. Trump, quelle que soit sa forme fantasmatique et délirante, est en train de transformer le Moyen-Orient en un endroit plus brutal et plus cruel, et continuera de le faire, poussé par son beau-fils toujours souriant, toujours sans espoir, et par sa poignée de généraux. [Le général] Mattis ne doit pas son surnom de « chien fou » à sa sagesse militaire. Et sa conviction que ce sont les chiites iraniens plutôt que les sunnites irakiens qui ont torpillé les plans de l’Amérique en Irak après l’invasion démontre qu’il est plus dangereusement émotif que professionnellement rationnel. Il est facile de se convaincre que des soldats très bizarres – des types qui traversent le Rubicon, s’emparent Moscou quand la ville brûle ou portent des moustaches après avoir servi comme Unteroffiziers  sur le front occidental – n’ont pas vraiment d’influence sur l’Histoire.

Les Arabes savent tout sur le pouvoir des soldats. Vous souvenez-vous du colonel Nasser et du colonel Kadhafi, du colonel Ali Abdullah Saleh, du commandant de l’armée de l’air Assad et du maréchal de l’air Moubarak et de l’ancien sous-lieutenant Sadat et du maréchal al-Sisi ? Trois ont été assassinés, deux sont morts d’infarctus et deux autres sont encore joyeusement parmi nous. Bien sûr, ils vivent ou vécurent tous dans des nations que Trump classerait probablement comme des « pays de m… ». Mais au moins, ceux-là n’étaient pas des rigolos.

Robert Fisk, The Independent (traduction et intertitres : Pierrick Tillet)

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