Robert Fisk : en rompant l’accord sur le nucléaire iranien, Donald Trump fait son Kadhafi

En rompant par excès de caprice l’accord nucléaire iranien, le président américain a démontré que, comme le défunt leader libyen, il est totalement coupé de la réalité.

Il y a quelques heures, je me demandais – après sa rupture honteuse, scandaleuse et insensée d’un traité international solennel – à qui au juste Donald Trump me faisait penser. Je songeais à Theodore Roosevelt, le raciste vaniteux et va-t-en-guerre, le « Rough Rider »[note]Le « cavalier impitoyable », du nom du régiment de cavalerie, The Rough Riders, à la tête duquel Theodore Roosevelt s’illustra lors de la bataille de San Juan en 1898.[/note] qui aimait la guerre (et les menaces). Mais Theodore Roosevelt obtint le prix Nobel de la paix. Alors, j’ai trouvé.

Le leader politique qui ressemble le plus à Trump est le défunt colonel Kadhafi de Libye.

Les parallèles sont assez effrayantes. Kadhafi était un cinglé, un paon vaniteux, obsédé par les femmes. Il disposait même d’un nègre qui écrivit pour lui un « Livre vert » de sa philosophie personnelle, tout comme Trump avait écrit son manuel des affaires rédigé à son attettion. Kadhafi était impitoyable envers ses opposants mais ses opinions sur le Moyen-Orient étaient pour le moins bizarres. Il prôna une fois une solution à un État pour Israël et la Palestine qui, selon lui, devrait – très sérieusement – s’appeler « Israël-tine ». Un peu comme l’idée de déménager l’ambassade américaine de Tel Aviv à Jérusalem.

La tente de Trump

La Maison blanche de Trump est maintenant comme la tente de Kadhafi, que le chef libyen emmenait partout avec lui. La dernière prestation de Trump à la télévision, tard dans la nuit, n’était pas sans rappeler l’obstination de Kadhafi à vouloir que les affaires se traitent sous sa tente. La poignée de main de Kadhafi était légendaire – tout comme le baiser que lui donna Tony Blair, qui était aussi obséquieux envers Kadhafi en Libye que Theresa May l’était envers Trump à Washington. Beaucoup de bien fait Blair ou May.

Kadhafi a géré ses relations d’affaires à travers sa famille et a même maintenu de bonnes relations avec la Russie. Ses discours étaient interminables – il aimait le son de sa propre voix – et bien qu’il mentit constamment, son auditoire était obligé de l’écouter et de craindre sa colère. Surtout, Kadhafi était complètement coupé la réalité. Quand il mentait, il croyait à ses propres mensonges. Il croyait qu’il tenait ses promesses. Il croyait au monde dans lequel il voulait croire, même si celui-ci n’existait pas. Son projet « D’un Grand homme coule la rivière »  était censé rendre la Libye plus grande encore.

Tout cela peut paraître désinvolte, mais il y a un étrange parallèle entre Trump et les autres dirigeants du Moyen-Orient – l’ancien président iranien Mahmoud Ahmadinejad vient à l’esprit : il affirma qu’un nuage sacré apparut au-dessus de sa tête quand il parla à l’ONU, puis nia avoir dit cela – jusqu’à ce qu’un opposant politique iranien produise la bande vidéo. Je me demande, après la dernière intervention télé scandaleuse de Trump, si le nom d’Ahmadinejad ne sera pas lui aussi bientôt évoqué. Le seul autre personnage auquel le président américain pourrait être comparé est, selon moi, le « petit homme à missiles » de  Corée – qui, il y a quelques heures, semblait être l’homme qui pourrait permettre à Trump d’obtenir ce prix Nobel. Osons dire les mots qui s’imposent, nom de Dieu !

Bien sûr, nous savons ce que signifie la rupture de l’accord nucléaire iranien par Trump – indépendamment de ses mensonges et de ses arguments frauduleux concernant l’accord original : les États-Unis font maintenant partie de la politique étrangère d’Israël. Les Arabes disaient qu’Israël était un État américain. Aujourd’hui, les États-Unis sont devenus une partie de l’État d’Israël. Ce discours infâme contenait sept références à la « terreur » concernant l’Iran – « État soutenant la terreur », « soutenant les réseaux terroristes », « le règne… de la terreur », « le régime de grande terreur », « les fonds … du terrorisme », « le soutien au terrorisme », « le principal État sponsor du terrorisme dans le monde » – et ainsi de suite. C’est presque aussi fort que les discours de Benyamin Netanyahou à l’ONU.

Qu’aurions-nous dit si c’était l’Iran qui, en réaction à l’élection de Trump, avait rompu l’accord ?

Et nous sommes censés croire, comme des enfants, que l’Iran chiite soutient les musulmans sunnites d’Al-Qaïda – alors qu’il combat Al-Qaïda en Irak et en Syrie. Nous sommes censés croire que les « documents de renseignement », obsolètes depuis longtemps, fournissent une « preuve définitive » que la promesse iranienne de ne pas poursuivre l’armement nucléaire est un mensonge. Mais que vaut la crédibilité de l’Amérique maintenant – au Moyen-Orient ou ailleurs (en Corée du Nord par exemple) – quand elle peut déchirer si ouvertement un traité international accepté par le gouvernement américain lui-même. C’était ce que certains leaders européens – je pense à un en particulier – faisaient dans la première partie du 20ème siècle.

Faîtes revenir le scénario en arrière et changez les personnages dans ce drame obscène. Imaginez que le gouvernement américain ait réussi à forger un accord nucléaire international avec l’Iran. Réfléchissez alors à ce qui se serait passé si l’Iran, en réaction à l’élection de Trump, avait annoncé que la République islamique rompait l’accord. Les May, les Macron et les Merkel se seraient aligner – peut-être même avec la Russie et la Chine – aux côtés de Trump pour dénoncer cet acte de perfidie. Comment l’Iran pourrait-il rompre un traité international si contraignant, nous serions-nous demandé ? Quel genre de régime dirige l’Iran ? On aurait presque pu le qualifier de « régime terroriste ».

C’est pourquoi j’ai particulièrement apprécié l’expression d’amour de Trump pour les Iraniens. Tous les présidents américains disent combien ils aiment les gens qu’ils sont sur le point d’envahir. Bush a dit la même chose à propos des Irakiens. Tout comme Reagan avant de bombarder la Libye de Kadhafi. Maintenant, Trump est désolé pour les « Iraniens qui souffrent depuis longtemps ». Trump nous a rappelé tout ce temps où l’Iran « prospérait en paix » et « commandait l’admiration du monde » – et personne ne remarqua qu’il faisait référence à l’Iran du Shah dont la police secrète de la Savak maintenait les Iraniens dans un état de peur permanente et de terreur à travers un programme de tortures obscènes.

=> Source : Robert Fisk, The Independent (traduction et intertitres : Pierrick Tillet)

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