On assiste depuis quelques temps à un drôle de mouvement d’inversion. Une tentative étonnante de réhabiliter la dette publique, de délivrer un blanc-seing aux déficits les plus extravagants. A défaut de pouvoir les résorber, on les pare de vertus miraculeuses, on en justifie l’existence, on en nie les pouvoirs de nuisances, on en use à de troubles desseins.
__Les « vertus » imaginaires de la dette__ Selon le prix Nobel d’économie Paul Krugman (New-York Times du 5 février 2010), le creusement des déficits serait presque un gage de bonne santé économique. En ceci que les investissements lourds des États sont indispensables à une relance massive de l’emploi, qui permettra forcément de garantir le retour à une croissance forte et durable. »« La dette est-elle un boulet ou un prétexte ? » » s’interroge Paul Jorion dans [une récente tribune|http://www.pauljorion.com/blog/?p=7818] (Le Monde de l’économie daté du 9 février 2010). Certes, Paul Jorion n’est pas de ceux qui légitiment « le boulet ». Il admet le »« niveau consternant » » atteint par les dettes publiques des différents pays. Mais s’étonne de leur soudain empressement à vouloir liquider dare-dare ce qu’ils ont toléré des années durant. Pour Paul Jorion, le véritable prétexte réside dans la volonté des puissances publiques de s’attaquer aux protections sociales. Ce en quoi on ne saurait évidemment lui donner tort. Mais on pourrait aussi considérer que le maintien de cette dette publique à un tel niveau menace tout autant les protections sociales en question. __La course au surendettement__ En réalité, le véritable problème ne réside pas tant dans l’existence d’une dette publique, mais dans sa phénoménale augmentation au cours de ces derniers temps. Et dans sa justification. Rappelons « pour les nuls » que la dette publique (presque 80 % de notre PIB – Produit Intérieur Brut) est la somme des déficits publics accumulés au fil des années. Et que le déficit français a été presque multiplié par trois en 2009 (presque 8% de ce PIB, quand l’Union Européenne voudrait le limiter à 3 % maximum). Si demain vous allez voir votre banquier pour lui faire un emprunt, celui-ci distinguera d’entrée vos motivations. Soit que vous justifiez d’un projet d’investissement quelconque (immobilier, commercial…) ; soit que, pris à la gorge par un manque criant de trésorerie, et malgré vos prétextes fumeux façon Grand emprunt national, vous empruntiez surtout pour rembourser vos précédents emprunts. C’est pourtant ce qui arrive aujourd’hui à ces pays surendettés qui affolent nos places boursières. Et leur coûte bonbon quand leur note de confiance est dégradée sur la place internationale. __Crise financière et crise économique sont intimement liées__ Un autre vieux schéma a besoin qu’on lui torde le cou. Impossible, semble-t-il, pour nos spécialistes, d’envisager une réorganisation de l’économie réelle mondiale sans une « croissance forte et durable ». Point de vue défendu par Paul Krugman et bien d’autres. On a pourtant vu les dégâts (dérèglements climatiques, épuisement des ressources naturelles…) qu’a pu occasionner cette « croissance forte et durable » lors des dernières navrantes trente Foireuses. On a pu mesurer aussi à quel point cette croissance relevait plus du gaspillage éhonté, de la goinfrerie névrotique et artificielle, que de progrès réels dans le devenir de l’humanité. La vérité est que la crise actuelle va beaucoup plus loin que ce que nos cerveaux un peu figés par l’habitude sont à même d’assimiler. Nous allons devoir, de gré ou de force, réviser notre logique de perception des choses. Loin de moi l’envie de céder avec facilité à la logique des extrêmes contraires. L’idée de décroissance me semble aussi vaine que l’anticapitalisme un peu puéril de notre cher Besancenot. Mais la réorientation à laquelle nous allons forcément être contraints, sauf de disparaître, n’est plus de propulser une croissance des richesses. Elle est de gérer de façon durable, en les assainissant et en les répartissant autrement, celles qui existent déjà en quantité largement suffisante. Pour finir, je dirai que la principale et fatale erreur serait de vouloir artificiellement distinguer crise financière et crise de l’économie réelle. Ou encore de vouloir attribuer aux dérives de la première les malheurs de la seconde. Les deux crises me paraissent au contraire intimement liées au sein d’une même remise en question civilisationnelle.