
L’effondrement d’un système, c’est beaucoup de boue, beaucoup de merde à remuer. Alors quand surgit un éclat lumineux… Celui-ci vient du blog Europe insoumise et il concerne nos amis réfugiés.
À Athènes, un grand hôtel à l’abandon héberge désormais des réfugiés, qui gèrent eux-mêmes la vie de leur lieu de résidence avec l’appui de militants locaux. Au grand dam des autorités qui voient d’un mauvais œil cette démonstration de solidarité à la fois efficace et en dehors des cadres réglementaires.
L’hôtel City Plaza avait été fermé après la crise économique de 2008, suite à la décision de sa propriétaire, une des personnes les plus riches du pays, de déclarer faillite tout en refusant de payer le dernier salaire des employés. Grâce à une synergie inédite entre militants locaux et réfugiés, au bout de longs mois de préparatifs et de réunions, le City Plaza Hotel accueille désormais une clientèle complètement nouvelle. Le Refugee Accomodation and Solidarity Space City Plaza (espace de logement et de solidarité avec les migrants de City Plaza) a mis en place une occupation autogérée du lieu, accueillant environ 450 personnes de plus d’une dizaine de nationalités différentes, dont 150 enfants. Si, au début de l’occupation des lieux, il y avait principalement des Syriens et des Afghans, au cours des derniers mois les flux migratoires utilisant la Turquie comme porte d’entrée en Europe ont mené au développement d’un trafic toujours grandissant d’êtres humains entre la Turquie et la Grèce. En montant et descendant les escaliers du City Plaza on peut désormais rencontrer des personnes qui arrivent du Maroc, de l’Algérie, de la Tunisie, de l’Éthiopie, de la Somalie, de l’Érythrée, de la Palestine, du Liban, de la Syrie, du Kurdistan, de l’Iran, de l’Irak, de l’Afghanistan et du Pakistan.
Depuis le début de la crise des réfugiés qui a affecté le pays avec l’explosion de la guerre en Syrie, le panorama politique athénien s’est enrichi d’expériences inédites et très originales. La rencontre entre les activistes grecs et les réfugiés a créé de précieux espaces de liberté dans le quartier traditionnellement très politisé d’Exarchia ; on y expérimente des formes d’accueil totalement autogérées. Il existe un peu plus d’une dizaine de refugee squats accomodations (logements squattés à l’attention des réfugiés) qui accueillent 3000 réfugiés exclus du système d’accueil gouvernemental développé dans le cadre de la stratégie européenne de gestion de crise. Ce système s’est désormais effondré.
Les camps d’accueil officiels, véritables ghettos situés hors de vue des citoyens où les migrants sont contraints de vivre dans des conditions honteuses, sont saturés. Pourtant, l’injustice inhérente à l’existence de ces camps de détention modernes fait figure de privilège quand on voit les milliers de personnes, des familles entières, obligées de vivre dans la rue à Athènes, privées de toute sécurité et sans aucune perspective de voir leur situation s’améliorer. Dans le va-et-vient de femmes, d’hommes et d’enfants dans la rue du City Plaza, on reconnaît aisément les personnes venues demander une chambre. La longue liste d’attente atteste qu’il y a au moins trois requêtes par jour et que la majorité des demandeurs est sans domicile fixe. Dès que se libère une chambre, l’équipe du City Plaza se réunit pour décider, selon l’urgence de chaque situation particulière, à qui la donner – et donc à qui la refuser.
Les squats ne peuvent colmater les brèches d’un système institutionnel d’accueil déficient et inhumain. La nécessité de faire face à la crise humanitaire qui affecte le pays se conjugue à la lutte active contre la fermeture des frontières, contre la transformation de la Grèce en une grande prison à ciel ouvert, contre l’accord entre l’Union européenne et la Turquie, contre les expulsions, contre la criminalisation continuelle de personnes innocentes, etc.
Dans la pratique, tout ce qui est mis en œuvre au City Plaza se fait grâce à une communauté solidaire dont les principes cardinaux sont l’autogestion et la division du travail. La vie y est rythmée par des réunions hebdomadaires qui abordent toutes les questions, des plus politiques aux plus techniques. Ensemble, réfugiés et activistes gèrent toutes les activités du centre : des cours d’anglais aux soins médicaux, des activités pour les hommes à l’espace réservé aux femmes, de la cuisine au nettoyage et à la gestion des dons. L’objectif est de substituer au simple assistanat du gouvernement et des grandes ONG le principe horizontal de la solidarité entre les personnes. Au fil de la vie collective dans cette communauté hors normes, les différences s’estompent peu à peu et se créent des relations fortes entre personnes parfois très diverses, et de véritables ponts entre les cultures. Le City Plaza est un modèle exemplaire de fonctionnement d’accueil alternatif entièrement créé et développé par la base.
Toutefois, peut-être en raison de la concurrence que ce système alternatif d’accueil représente pour le système de gestion de crise sécuritaire du gouvernement, celui-ci le voit d’un mauvais œil. Les quelque 400 personnes qui vivent au City Plaza Hotel sont menacées d’expulsion. Une campagne diffamatoire menée par les plus grands médias grecs propage toutes sortes de rumeurs, accusant les occupants d’avoir des liens avec le crime organisé, d’obliger les résidents à payer un loyer mensuel ou de forcer les réfugiés à vivre dans des conditions d’hygiène inadmissibles. Le City Plaza est pourtant un espace ouvert et il suffit de venir y jeter un coup d’œil pour constater que ces affirmations n’ont rien à voir avec la réalité.
L’existence de cette communauté, qui ne survit que grâce aux dons, ne serait pas possible sans le soutien et la solidarité dont elle jouit en Grèce et à l’étranger. Pour participer de façon active au développement et au maintien de ce projet, il est possible de contribuer à diverses levées de fonds sur internet ou de venir directement à Athènes en devenant partie intégrante du Refugee Accommodation and Solidarity Space City Plaza.
Giovanni Dambrosio (traduit de l’italien par Jean-François Clot)
=> Source : Europe insoumise (NB : sur le site, des tas d’autres photos chouettes prises par Viola Berlanda)