Quels relais politiques pour le soulèvement populaire des Gilets jaunes ?

Les révoltes des Gilets jaunes des 17 et 24 novembre ont été d’incontestables succès populaires. Mais quel débouché politique pour ce mouvement s’il ne veut pas connaître le sort sans lendemain des révolutions arabes ?

Les révolutions populaires arabes de 2011, n’auront en effet connu qu’un seul printemps faute d’avoir eu les relais politiques en mesure de les concrétiser et de les pérenniser. Qu’en est-il dans la France d’aujourd’hui secouée par un puissant soulèvement populaire ?

Passons sur les partis systémiques (ou ce qu’il en reste) : il est clair que la coalition de momies insipides regroupées autour d’Emmanuel Macron est à classer dans le camp des combattus (sinon des déjà battus), certainement pas dans celui des combattants. Les éclopés Républicains, les Socialistes moribonds, les Communistes has-been, outre qu’ils ne comprennent plus rien à la situation politique de leur pays depuis longtemps, et n’y pèsent plus rien, ne sont plus non plus en mesure de relayer quelque soulèvement populaire que ce soit. Pas plus que les groupuscules à vocation purement ornementale : NPA, LO, Ensemble, UPR

Le Rassemblement national (ex FN) s’est retrouvé, sans doute bien malgré lui, au rang de grand manipulateur, sinon d’initiateur désigné du mouvement des Gilets jaunes. Mais le parti de Marine Le Pen n’est en rien un parti de gouvernement, juste un point de polarisation des aigreurs et des ressentiments, animé par des cadres sans envergure bien incapables de fournir l’ossature d’un nouveau pouvoir. De tout temps, les partis régressifs d’extrême-droite ont ponctué l’effondrement des vieux mondes épuisés, jamais inauguré l’émergence des mondes nouveaux. Qui vit d’ailleurs le moindre VIP du RN dans les manifestations de Gilets jaunes des 17 et 24 novembre ?

Forces et faiblesses de la France insoumise

Sauf à parier sur l’émergence, bien peu probable, d’une nouvelle force politique organisée raccord avec le soulèvement des Gilets jaunes, seule la France insoumise (FI) pourrait aujourd’hui présenter les caractéristiques suffisantes pour assurer un relais politique acceptable à la colère populaire :

  • un soutien un brin poussif au début, beaucoup plus résolu ensuite, de toutes les manifestations de Gilets jaunes ;
  • une personnalité tête-de-pont très bien perçue dans les milieux populaires : François Ruffin [photo] ;
  • un programme de gouvernement, non sans faiblesses (le volet européen), mais assez cohérent : L’Avenir en commun (LAEC) ;
  • un vivier de cadres en mesure semble-t-il d’assurer une alternative politique nationale ;
  • un maillage local encore embryonnaire, mais bien réel : les groupes d’action locaux.

Mais la FI souffre de faiblesses et d’incohérences très graves :

  • des dissensions internes sur fond de velléités hégémoniques un peu trop voyantes du Parti de gauche sur l’ensemble du mouvement Insoumis ;
  • un attachement handicapant à certaines valeurs obsolètes du système failli : le mythe de la croissance (même verte), le retour au plein-emploi, l’UE « que l’on peut changer de l’intérieur », une soumission quasi-viscérale à des institutions politiques pourtant pourries et archi-corrompues…
  • un discours « militant » ampoulé peu audible des masses populaires, d’où la très faible et très insuffisante mobilisation de l’électorat populaire en faveur de ses candidats lors d’élections partielles, comme ce dimanche dans la 1e circonscription de l’Essonne (participation : 17% !!!) ;

Le seul objectif désormais à même de satisfaire la véritable aspiration des Gilets jaunes excédés : un changement radical de régime

Si elle veut être amenée à jouer un rôle moteur dans la reconstruction politique du pays, précipitée par le soulèvement des Gilets jaunes, la FI va devoir opérer de sévères remises en question de sa stratégie et de ses actions, assez stériles actuellement ; cesser de gaspiller son énergie à préparer uniquement des élections inutiles (européennes de 2019) ou trop lointaines (présidentielle de 2022) ; arrêter d’en appeler en pure perte à une prise de conscience du président Macron afin qu’il opère « un grand tournant » social, ce dont le président en question, poussé au cul par ses mandataires financiers, est dans l’incapacité totale de décider.

Sauf à rester marginalisée, la FI doit prendre toute la mesure d’un soulèvement et d’une colère qui ne peut plus retomber puisque les autorités actuelles, sous férule de Bruxelles, de Berlin et de la finance, vont continuer imperturbablement de renforcer leur politique austéritaire et inégalitaire. La FI doit surtout revenir à son projet, rien que son projet, et en finir avec cette stupide tactique de ralliement politicien mise en place pour les européennes ou encore pour le second tour de la législative partielle de l’Essonne.

La priorité de la FI devrait être de remettre en avant son programme LAEC en insistant sur son volet le plus urgent : l’urgence sociale ; de mobiliser ses groupes d’actions locaux pour servir d’intermédiaires entre les émeutiers et la direction du mouvement ; en un mot de faire porter tous ses efforts pour atteindre le seul objectif désormais à même de satisfaire la véritable aspiration des Gilets jaunes excédés : un changement radical de régime, toute affaire cessante.

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