
Au rassemblement des coquelicots du 2 novembre, appel pour l’interdiction des pesticides, j’ai fait un topo sur les messicoles. En voici la substantificque moelle.
Les messicoles
Ce mot vient de moisson. Les messicoles sont des plantes annuelles qui poussent avec les céréales cultivées. Elles germent en automne ou en hiver. Originaires du Moyen-Orient et des steppes d’Europe de l’est, comme le sont du reste nos céréales, les messicoles poussent en sol meuble d’où leur besoin de façons culturales (sol cultivé ou retourné). Ce besoin et ce cycle végétatif, qu’elles ont en commun avec nos céréales, font qu’elles se sont parfaitement adaptées à l’agriculture. Et qu’elles ont été les compagnes des moissons durant des millénaires.
On connaît une tapée de messicoles que l’on trouvera selon le sol, calcaire ou acide, selon le climat, sec ou humide, ou selon la région, Méditerranée, montagnes, plaines du bassin parisien, causses, bocage du grand ouest… Mais les messicoles les plus répandues sont le coquelicot, la matricaire, le bleuet et la nielle.
Le bleuet
Centaurea cyanus, à fleur bleue, à feuilles et tiges tomenteuses (recouvertes de poils fins) qui donnent une sensation veloutée au toucher. Le bleuet est devenu très rare car il est très sensible aux désherbants.
Je me souviens de sa raréfaction spectaculaire quand les agriculteurs ont commencé à utiliser des désherbants : pendant deux ou trois ans on avait les champs sans un seul bleuet et les champs couverts de bleuets et de coquelicots des agriculteurs qui ne « traitaient » pas encore. Le détail qui épatait le gamin que j’étais : quand un gars avait fait un « manque » dans un champ avec son pulvérisateur, on le voyait à une végétation exubérante sur cette seule surface comme taillée au couteau.
On trouve encore parfois le bleuet en bordure de champs et de chemins qui ont subi des façons culturales mais n’ont pas été désherbés. Les biologistes remarquent une évolution génétique importante des graines par rapport aux types anciens conservés en banque de semences. Cette évolution est due à la raréfaction de la plante qui a nui à sa variabilité génétique.
Le bleuet était une plante si commune qu’elle parlait à l’imaginaire de tous. Ainsi, après avoir été depuis des siècles utilisé comme motif décoratif de la faïence et de la porcelaine, le bleuet porté à la boutonnière était le symbole des anti-dreyfusards au moment de l’affaire Dreyfus. Il a ensuite été le symbole de la mémoire des anciens combattants de 14/18 puisqu’il poussait en abondance sur les tombes fraîchement creusées.
La matricaire
Matricaria est une plante botaniquement proche de la camomille. La fleur ressemble à la fleur de camomille, de pâquerette ou de marguerite : « bouton » jaune et collerette blanche. On devrait écrire « les matricaires » car il y a beaucoup d’espèces assez peu différentes réparties selon les sols, qu’elles préfèrent plutôt acides et frais, et les climats, qu’elles préfèrent plutôt humides.
Les fleurs et la plante entière de presque toutes les matricaires sont très odorantes. Dans la pharmacopée traditionnelle la plante était utilisée pour soulager les règles douloureuses.
Les matricaires, très sensibles aux herbicides chimiques, sont des plantes très gourmandes et de plus elles s’installent confortablement avant le tallage des céréales au début du printemps. Elles nuisaient ainsi beaucoup aux rendements céréaliers
Le coquelicot
Papaver rhoeas est de la grande famille des pavots. C’est la plante-type qui a un cycle biologique calqué à la perfection sur celui des céréales. Mais elle est fort adaptable et peut fleurir en septembre après une levée tardive.
La graine est minuscule. Le poids de 1000 graines va de 0,1 à 0,2 grammes. Une seule plante peut produire jusqu’à 20 000 voire parfois 50 000 graines. Comme la mise à graine se fait avant la moisson, ou bien en septembre, le coquelicot assure tranquillement sa pérennité. Tout ceci t’explique pourquoi le coquelicot, bien que très sensible aux herbicides anti-dicotylédones, a réussi à se maintenir malgré sa raréfaction relative.
Le thème principal de cette bafouille, la beauté disparue, n’interdit pas les pas de côté. On connaît les résistances aux antibiotiques. Eh bien on trouve maintenant des populations de coquelicots qui ont développé une résistance génétique à des familles de matières actives herbicides. Cette observation a été faite dans de nombreux pays occidentaux. Et ce n’est pas très réjouissant. Si le coquelicot ne nuit pas aux rendements céréaliers, d’autres résistances génétiques aux pesticides développées par des insectes, acariens ou champignons risquent fort de faire chuter dans un proche avenir les rendements agricoles.
« Les coquelicots sont revenus » est un roman au parfum libertaire de Michel Ragon qui met en scène, d’une façon réaliste très conforme à la vie rurale moderne, les ravages de la modernisation folle de l’agriculture.
Comme le bleuet pour la France, le coquelicot est, pour la Grande-Bretagne et ses colonies de l’époque, associé au souvenir des anciens combattants de 14/18 car il pousse sur la terre fraîchement remuée des tombes. Cela t’explique pourquoi tu vois des champs de coquelicots avec le War Requiem de Benjamin Britten comme avec toutes les évocations anglaises de la Grande Guerre.
La Grande Guerre
De 1914 à 1918 les sols de l’est et du nord de la France ont été vigoureusement retournés à coups de bombes et d’obus. Des champs de bataille où tant de jeunes hommes sont morts. Où tant de jeunes hommes ont été estropiés. Au printemps 1919 on a enfin cessé ces labours et les messicoles s’en donnent à cœur joie en cette époque où l’on ne connaît pas les désherbants chimiques. Avec les beaux jours l’on peut voir des mers de bleuets, de matricaires et de coquelicots. Du bleu, du blanc et du rouge. Je te laisse imaginer la teneur des discours nationalistes enflammés.
La nielle
Agrostemma githago est une grande plante qui porte de très jolies fleurs à cinq pétales rose tyrien ou rouge pourpre à cœur plus clair. On voit aussi, mais assez rarement, des fleurs entièrement blanches. C’est une belle plante ornementale proche des lychnis. Comme pour les lychnis on en trouve du reste des variétés cultivées dans les jardins.
La nielle a été disséminée par l’homme avec les céréales sur tous les continents. On semait ses graines avec les céréales et elle a été éliminée par l’amélioration du tri des semences avant même l’arrivée des premiers herbicides. Elle était déjà devenue un peu rare quand j’étais gamin. Un oncle, qui aimait le travail bien fait, disait qu’on la trouvait surtout dans les champs des paysans qui « auraient semé même les balayures. »
La nielle, ma plante préférée, est aujourd’hui très rare, voire en voie de disparition. Elle est reconnue « plante menacée », ce qui lui fait une belle jambe, et ne me console pas de la perte de ma belle.
Prochain rassemblement des coquelicots le vendredi 7 décembre à 18h 30 devant TA mairie. Pour l’interdiction des pesticides.
Après cet itinéraire tricolore voici le contrepoison. Marc Ogeret chante « La chanson de Craonne » dont les auteurs sont inconnus : ils auraient été fusillés. « La chanson de Craonne » a été écrite sur l’air d’une valse – une « romance », chanson à l’eau de rose – qui avait connu un grand succès avant la Grande Guerre.