Mort d’un négro ? Salir la victime !

À Nantes un jeune noir est tué par un policier. Une balle dans le cou. Et, aussitôt, on te raconte comme d’habitude que ce négrillon serait un dangereux gangster.

Bon, je ne sais rien de cette triste histoire et ne vais pas faire de spéculations.

Mais ça me donne l’occasion de te raconter une autre histoire. Elle se passe dans ma ville, dans un quartier juste à côté du mien. Une nuit, un tout jeune noir est attaqué par des gros bras qui le lardent de coups de couteau. Le garçon meurt exsangue.

Une marche blanche

Son quartier en est très ému et organise une marche blanche. C’est une poignée d’adolescents et de très jeunes adultes qui l’a initiée. C’est ainsi que l’on se retrouve à un petit millier. Elle est vraiment impressionnante, cette marche blanche avec son silence respectueux.

En tête, des banderoles faites par des mains malhabiles. En tête, des jeunes qui manifestent pour la première fois de leur vie. En tête, avec eux, des grands-pères qui impriment à la marche son rythme lent. Des grands-pères que l’on consulte presque à chaque carrefour pour décider vers où on va continuer.

Et puis des jeunes mères avec des poussettes. Des petits. Des adolescents avec un brassard noir. Des motards en cuir et des fauteuils roulants. Des béquilles qui aident la marche. Des jeunes filles en larmes. Des familles entières avec trois, voire quatre générations. Des musulmanes ostensibles et des femmes vêtues à la mode qui trotte. Des grands-mères en foulard de deuil.

Une vieille retraitée me raconte qu’elle n’a pas mis un foulard-marque de deuil depuis sa jeunesse « parce que, vous comprenez monsieur, chez nous, ça ne se fait plus. Mais aujourd’hui, pour montrer que je compatis à leur peine, je fais comme la pauvre famille de ce jeune garçon que je connaissais bien. »

Si je comprends ! Pour l’enterrement de mon père, ma mère, qui souffre de la maladie d’Alzheimer, voulait mettre un foulard comme elle le faisait dans les années avant 1970. Et c’est nous, ses enfants, qui lui avons dit que c’était un usage du passé…

Nous, les militants, blancs, on est peu nombreux, trop peu nombreux à mon gré – occasion ratée de montrer notre solidarité avec les quartiers populaires – dans cette foule qui décline toutes les nuances du basané au noir. Toutes les couleurs de l’Afrique, de l’Amérique latine, du Moyen-Orient et de l’Asie sont là avec les ouvrières et les ouvriers retraités de ce quartier construit naguère pour le petit peuple du travail manuel.

Toujours salir la victime

C’est bien ennuyeux, quand même, cette marche qui réunit tout le quartier sans distinction d’âge, d’origine ou de langue. Qui mêle les nouveaux venus aux habitants historiques. Qui mêle toutes les croyances aux indifférents et aux athées. Sait-on quels troubles pourraient germer sur ce terreau ?

Alors, quelques jours après la marche blanche, court une sale rumeur. Ce négro, il n’était pas tout blanc. Il avait un casier judiciaire chargé. Et c’est vrai qu’à quinze ans, il a fumé trois-quatre joints. Ce qui lui a valu alors un tirage d’oreille par la police. Et une sacrée engueulade familiale qui lui a fait reprendre le droit chemin. Et c’est tout ? Oui. Mais c’est suffisant pour le dépeindre en trafiquant de drogue. Et qu’importe que l’on sache qu’il y a eu erreur sur la personne ! Un frêle garçon de dix-sept ans confondu avec un castard trentenaire. Tous ces négros se ressemblent tellement…

Salir la victime. Un procédé éprouvé depuis belle lurette. N’oublie jamais. Toujours salir la victime.

Par contre tu te dispenseras du moindre mot de compassion pour sa famille, pour ses proches, pour la victime.


Persan Beaumont-sur-Oise, 21 juillet, marche à l’occasion du deuxième anniversaire de la mort d’Adama Traoré. Le négro meurt beaucoup entre les mains de la police. Pas seulement en Amérikkke.


« Ce qui de la terre s’en va / En son sein reviendra » chante Angelo Branduardi.

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