Marceline Loridan-Ivens (1928-2018) : portrait d’une lumineuse insoumise

Marceline Loridan-Ivens est morte hier 18 septembre 2018. J’avais déjà écrit tout le bien que je pensais de cette très belle personne en mai 2013. Je le reprends en partie ici.

Commençons par son nom de jeune fille, Rozenberg, qui lui valut un petit séjour dans les camps d’Auschwitz-Birkenau. Aux meurtrissures impérissables qu’elle en garda, elle opposa son inextinguible rire.

Le rire expiateur n’enlève cependant rien à l’impitoyable lucidité du constat. Réduit à l’état d’animal pris au piège nazi comme bien de ses congénères, l’adolescente à peine pubère dut affronter la panoplie des instincts humains les plus primaires, des plus nobles aux plus sauvages.

Avec ses quelques lumières irradiantes (le destin de Mala la Belge qui se trancha les veines pour ne pas finir pendue, gifla son bourreau et trouva la force de faire un discours d’espoir à ses compagnes d’infortune avant de disparaître).

Et ses zones d’ombre terrifiantes (Marceline Loridan-Ivens raconte sans détour comment la très jeune Rozenberg lâcha de façon bien « moche » son amie Françoise qu’elle ne revit jamais).

Amitié indéfectible enfin, comme celle qui lia Marceline la gauchère un brin gauchiste (mais « de moins en moins en prenant de l’âge ») à Simone Veil (oui, oui, la ministre de la Santé sous la présidence Giscard d’Estaing, celle qui défendit dans un discours mémorable à l’Assemblée le droit à l’interruption volontaire de grossesse pour toutes les Françaises).

Je suis vivante ! Je suis vivante !

Revenue de l’enfer, la jeune Marceline se précipita dans ce que la vie a de plus intense et de plus engagé. Actrice (« Chronique d’un été » de Jean Rouch et Edgar Morin). Auteure (« Ma vie balagan », éditions Robert Laffont). Réalisatrice (« La petite prairie aux bouleaux », où elle fait crier à son double, joué par Anouk Aimé, cette fiévreuse profession de foi : « Je suis vivante ! Je suis vivante ! »)

Enfin, les années Joris Ivens [photo ci-dessus], qui la conduisirent du Viet-Nam d’Ho Chi Minh (« Le 17e parallèle ») à la Chine de Mao (« Comment Yukong déplaça les montagnes »). Où elle perdit bien de ses illusions (« nous sommes dirigés par des meurtriers ; le monde changera quand les gens auront compris qu’ils ne tireront jamais rien de ces meurtriers »), mais garda intact son appétit de vivre.

« Franchement, si vous me posez la question, je n’y crois pas.
— À Dieu ?
— Non, aux hommes. Mais je crois au bonheur de vivre. Je crois qu’il y a beaucoup de gens sur terre qui valent la peine. Qui sont mes amis, même si je ne les connais pas. Qui sont minoritaires, mais qui sont là. »

Dans son « Grand entretien » accordé à François Busnel sur France Inter en mai 2013, Marceline Loridan-Ivens donnait ce conseil aux jeunes d’aujourd’hui :

« Quel est le conseil que vous donneriez, vous, aujourd’hui, pas forcément à un jeune cinéaste, mais à un jeune tout simplement ?
— De prendre des risques. De ne pas avoir peur. »

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