
Les deux livres d’Emmanuel Todd et de Christian Greiling permettent d’avoir une image parfaite de la situation de la France d’aujourd’hui, tant à l’intérieur (La lutte des classes) que dans le concert des nations à l’international (Le Grand jeu).
Pouvons-nous, de ces deux images complémentaires, esquisser une projection sur le devenir de notre pays dans le temps à venir ?
La réveil social du pays contre le chaos économique et politique
Une chose est claire, la France traverse une période de chaos – politique, économico-financier, social – dont le pays ne pourra sortir que par le haut… ou par le bas !
1. Chaos politique – Celui-ci est au plus fort. La façade démocratique, qui tenait par une représentation bipartidaire de plus en plus chancelante, a explosé ; les rouages de l’État sont aujourd’hui squattés par une bande de margoulins dont l’absence de scrupules n’a d’égal que l’épaisse connerie aujourd’hui étalée au grand jour lors de cette grotesque réforme des retraites. Mais à ce vide politique creusé par la bande macroniste dégénérée se greffe une absence totale d’alternative politique disponible.
2. Chaos économico-financier – Sous l’étouffoir d’une constitution européenne écrite par les lobbies néolibéraux et d’une monnaie unique (l’euro) sous contrôle de Berlin, le pays souffre d’une désindustrialisation profonde et d’une impossibilité de prendre les mesures qui s’imposent pour son redressement.
3. Le réveil social – Au chaos social largement avancé – détricotage des conquis sociaux issus de l’après-Seconde Guerre mondiale qui atteint son point d’insupportabilité maximum avec la tentative de suppression des retraites par répartition – succède aujourd’hui un réveil manifeste du corps social. Entamé par la base de la hiérarchie sociale en novembre 2018 (les Gilets jaunes), rejointe lors d’une période de grèves nationales historiques longues de déjà deux mois par les classes intermédiaires et même la petite bourgeoisie CPIS, ce soulèvement populaire qui associe de fait les trois catégories sociales actuelles contre les 1% de dominants est aujourd’hui le fait marquant – et encourageant – pour la période de transition à venir.

Difficile de rendormir un corps social éveillé
Ne nous le cachons pas, la période de transition qui s’annonce sera longue et difficile, sujette à rebondissements, sans doute douloureuse. Avec le prochain vote parlementaire du projet contesté de réforme des retraites, nous abordons un point crucial de cette véritable guerre transitionnelle.
Crucial, mais pas déterminant, car il est en effet peu probable que l’adoption de la loi sur les retraites fasse taire le réveil du corps social. Ce dernier est traditionnellement long à mettre en branle… mais tout aussi long à pouvoir être enrayé une fois emballé. Rappelons-nous que la Révolution française de 1789 fut précédée par 8.528 révoltes de la communauté paysanne, alors dominante en nombre, qui s’étendirent tout au long du XVIIIe siècle.
Sans attendre un tel délai séculaire, il est évident que la grande mutation en cours ne pourra s’achever tant que le corps social n’aura pas créé ses propres forces politiques par un remplacement urgent d’un personnel en place et d’organisations obsolètes. On a pu constater l’évolution rapide de la conscience politique des forces populaires en colère, chez les Gilets jaunes notamment (le RIC). Mais cette maturation est encore trop embryonnaire pour espérer remplir le vide occupé par des fous furieux ou une opposition institutionnelle impuissante.
Une période de transition longue, tumultueuse, à l’issue incertaine… mais pas désespérée !
Le redressement économique et financier du pays ne dépendra pas seulement de l’agitation sociale ou du renouvellement des forces politiques actives, mais aussi d’une prise de conscience concernant nos alliances extérieures :
- prise de conscience de l’impasse constituée par un Traité de Lisbonne étouffant et une monnaie unique dirigée de l’extérieur (la mise en place du Brexit devrait aider à cette prise de conscience) ;
- prise de conscience du cul-de-sac otanien et de l’addiction au dollar qui nous soumet aux diktats de Washington dont l’UE n’est qu’un triste bras armé ;
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L’Eurasie fuir les récents accords internationaux contre-nature suicidaires – CETA, JEFTA, UE-Mercosur… – et « participer à la grande dynamique eurasienne en tant qu’acteur souverain », comme nous y invite l’auteur du Grand jeu, Christian Greiling. Car, n’en déplaise à Emmanuel Todd, notre salut ne viendra pas d’outre-atlantique mais d’un retour dans le giron du vaste continent terrestre qui nous est naturel, constitué de l’Europe et de l’Asie : l’Eurasie.
On le voit, la route est encore longue et pleine d’ornières, la tâche immense. Chacun pressent bien que le monde que nous voulons – que nous devons ! – aujourd’hui remplacer est mort, sans autre avenir que la honte, l’humiliation et le malheur. Mais même un coup de force populaire soudain serait voué à l’échec tant que la prise de conscience populaire des obstacles à franchir ne sera pas aboutie. Cette prise de conscience est en cours. Voilà pourquoi l’issue de cette formidable guerre sociale, bientôt politique, économique, géopolitique sera longue, tumultueuse, douloureuse… mais pas désespérée !