Libération : pourvu que les prochaines années folles ne tardent pas trop

Année folle libération
La Valse chaloupée, Kees Van Dongen

J’en étais là, et déjà las, de mes réflexions moroses matinales en parcourant le fil morne des nouvelles sur mes réseaux sociaux (des types, je vous jure, plus ils détestent quelque chose, plus ils l’étalent : Macron partout, BFMTV et LCI partout…). Et puis soudain, en terminant mon premier café, une illumination : tout ça allait se terminer comme toutes les libérations, par des années folles.

Les Années folles, c’est ainsi qu’on appelait les années d’après la Première guerre mondiale, une période d’intense activité sociale, culturelle, artistique. Pour rattraper le temps misérablement tué dans des tranchées de boue et de sang.

Pareil dans l’année jubilatoire du Front popu et de ses premiers congés payés en 36, en conclusion de la crise de 29. Aucune des photos de l’époque sans qu’un sourire radieux transfigure les visages.

Puis la libération de 45 avec son babyboom impressionnant, sans doute beaucoup moins dû à un réflexe de rattrapage démographique qu’à une furieuse envie de baiser à une époque où la contraception n’existait pas. Rappelez-vous ces filles de tous âges qui sautaient sur les chars en embrassant leurs libérateurs à bouche-que-veux-tu.

Puis les années de libération sexuelle débridée des années 70, faisant sauter d’un coup le carcan moral étouffant des années 50-début 60.

Quand le couvercle de la marmite va sauter, les débordements d’allégresse ne se limiteront pas à une simple reprise des bisous

Il en va toujours ainsi : une explosion des sens et des esprits finit (heureusement) par pulvériser les carcans mentaux ou sociétaux trop étouffants du moment. La définition même de la révolution permanente et de sa nécessaire répétition.

Croyez-vous que ça va durer longtemps, ce sevrage de bisous que nous imposent ces tristes rats qui nous pourrissent la vie ? Déjà, on sent que le trop-plein est en train de monter. Faites l’essai. Demandez (gentiment) à une personne d’abaisser son masque pour vous montrer ses lèvres. Celle qui accepte va le faire en rougissant comme si vous lui demandiez de vous montrer ses seins. Les privations exacerbent le désir.

Quand le couvercle de la marmite va sauter – parce qu’il va sauter, trop de continences imposées, trop de coinçages de partout – vous pouvez être sûr que les débordements d’allégresse ne se limiteront pas alors à un simple reprise des bisous. Les révolutions vont souvent de pair avec d’éperdues histoires de cul.

Oui, j’en étais là de mes réflexions en entamant mon second café de la journée, secoué par un rire intérieur inextinguible, mais tout de même un brin voilé par une impatience tenace : pourvu que que ces prochaines années folles ne tardent pas trop. C’est que je prends de l’âge, moi…

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Un voyageur à domicile en quête d'une nouvelle civilisation.