
Des « émotions populaires » sous Louis XIV aux « gilets jaunes » sous Macron « le méprisant ». Entre Histoire officielle et Histoire du commun des mortels.
Le règne de Louis XIV est au programme scolaire de Partageux junior. La Fronde et les ministres, les guerres, Versailles et la vie quotidienne du Roi soleil à la Cour. Très brièvement la révocation de l’Édit de Nantes. À peu près rien sur la paysannerie ou le Tiers-État qui représentent pourtant plus de 90 % de la population.
Alors, pour compléter la partialité éhontée du programme officiel, on s’intéresse à l’histoire du commun des mortels. Les décennies de persécution des protestants et leur émigration vers Suisse, Hollande et Antilles. La persécution des Camisards dans les Cévennes. Les horlogers du Jura fuyant en Suisse. Les luthiers protestants de Croutelle, près de Poitiers, qui fabriquaient des chabrettes pour toute l’Europe. Ils ont émigré après avoir incendié leurs maisons et détruit les buis dont le bois servait au tournage.
Les vingt-cinq jeunes garçons protestants, du bourg à côté du village où je suis né, tous partis le même jour pour les Antilles. Si la chronique catholique n’a compté que les garçons – les filles, elle n’en parle même pas ! – elle mentionne que tous savaient lire et écrire à rebours du plus clair des catholiques.
L’ami protestant de ce même bourg dont un ancêtre a fait cinq ans de galère pour être huguenot.
On va mettre le nez dans la monumentale Histoire de la France rurale. On picore l’Histoire des paysans français de Louis Comby : « Aucune année du règne de Louis XIV ne s’écoule sans que des troubles, des tumultes, des révoltes organisées ne mettent en émoi les masses rurales. » Les châteaux pillés ou incendiés par des paysans révoltés. La répression effroyable des émotions populaires.
Un historien parle de pillage organisé à propos des impôts qui accablent les paysans. Il faut payer la construction de Versailles… Alors la misère permanente. Et les enfants qui meurent de faim. Et les adultes qui meurent de froid.
On lit des bribes d’écrivains. Madame de Sévigné pour qui les paysans sont « sottes gens ». Tristan L’Hermite qui raconte une chasse aux « rustiques » faite pour se distraire. Ils criaient si fort alors que l’on en « dépêchait » quelques uns au fil de l’épée que c’en était fort divertissant.
Et puis La Bruyère :
« L’on voit certains animaux farouches, des mâles et des femelles, répandus par la campagne, noirs, livides et tout brûlés du soleil, attachés à la terre qu’ils fouillent avec une opiniâtreté invincible ; ils ont comme une voix articulée, et quand ils se lèvent sur leurs pieds, ils montrent une face humaine et, en effet, ils sont des hommes. Ils se retirent, la nuit, dans des tanières, où ils vivent de pain noir, d’eau et de racines. Ils épargnent aux autres hommes la peine de semer, de labourer et de recueillir pour vivre, et méritent ainsi de ne pas manquer de ce pain qu’ils ont semé. »
L’Histoire officielle, celle qu’on enseigne encore aux gosses d’aujourd’hui, c’est l’histoire des rois et des batailles. L’histoire des puissants.
L’Histoire contemporaine, c’est l’histoire de son altesse Macron, de ses vassaux, de ses affidés et de ceux qui aspirent à prendre le manche du fouet en 2022.
Mais cette histoire oublie les « rustiques » et les « beaufs » semant « des troubles, des tumultes, des révoltes organisées [qui] mettent en émoi les masses rurales » et plus si mayonnaise bien montée. Gaffe que le petit peuple qui souffre ne prenne quelque Bastille annonciatrice de bouleversements que l’Histoire officielle sera obligée de narrer dans ses livres !
« Si vous n’avez pas un penny / Un demi-penny fera l’affaire / Si vous n’avez pas un demi-penny / Alors que Dieu vous bénisse. » Pas sûr que la miséricorde divine suffise aujourd’hui… Paul, Peter and Mary chantent A Soalin’, une chanson de quête anglaise qu’on reprenait traditionnellement à l’occasion de Noël.