Catastrophe japonaise : « Les mots n’ont plus de sens »

Le désespoir

Lundi 4 avril, après bien des atermoiements, bien des annonces tronquées, des mensonges grossiers, des promesses lénifiantes, des aveux d’échecs piteux, l’État japonais et la Tepco (opérateur privé de Fukushima) se sont résolus à déverser plus de 14 000 tonnes d’eau irradiée dans l’océan.

Le pire est qu’ils se sont encore trouvé des excuses. (Même si c’est en pleurant qu’un responsable de la Tepco est venu présenter ses excuses à la télévision pour ce nouvel avatar de la catastrophe en cours.)

Ce déversement, ont-ils dit en substance, est un moindre mal. En rejetant de l’eau moins fortement radioactive, nous faisons de la place dans les cuves de notre usine pour y stocker de l’eau plus contaminée. On croirait entendre un quelconque ministre français pur jus : ce nuage radioactif japonais est moins grave que prévu !

Quand toute la communauté humaine « pète les plombs »

« Le problème c’est que la communication qui vise à rassurer les populations ne prend plus : tout simplement parce qu’il n’y a pas de niveau de radiation sans danger pour la santé » (Al Jazeera, mardi 5 avril, reprenant… une affirmation du département d’État américain ! )

À quelques dizaines de kilomètres de là, cité par Cécile de Kervasdoué dans son indispensable revue de presse internationale sur France Culture, un éditorialiste tokyoïte du Asahi Shimbun revient d’un voyage tardif dans le nord-est du pays ravagé par le tsunami et raconte, effaré :

« Jamais je n’avais été témoin d’un tel paroxysme de destruction, comme si la vie des gens avait été d’un coup éradiquée… Il y a un fossé tellement profond, tellement irréconciliable, entre ceux qui ont survécu au désastre et qui ont tout perdus et les autres comme moi, qui n’en sont que les témoins… J’aimerais trouver les mots pour les réconforter ; mais c’est impossible, totalement impossible : les mots n’ont plus de sens ! »

Mais il s’en trouvera là aussi pour dire que l’économie japonaise et sa légendaire vitalité s’en remettront. Qu’à la limite même, cette catastrophe serait presque une chance inespérée : les travaux de reconstruction, les usines tournant à fond, le retour au plein-emploi (des survivants)… La communauté humaine en plein pétage de plomb !

Une tragédie planétaire aux ramifications concordantes

La catastrophe japonaise n’est qu’un symptôme d’un drame généralisé qui nous touche tous et revêt maintes ramifications sans liens apparents, mais unies par notre impuissance à les maîtriser, si ce n’est à les comprendre, passé ce point de non-retour où notre raison vacille et se perd en soubresauts incontrôlés, de négation dérisoire de la réalité en obstination dans l’erreur calamiteuse :

« La catastrophe a réduit nos notions de distance géographique… ainsi, le désastre de Fukushima est notre désastre à tous », écrit le Gardian, toujours cité par Cécile de Kervasdoué.

Les revues de presse internationale ont ceci d’impitoyable qu’elle mettent en relief la concordance, la concomitance et la persistance de nos égarements, tous sujets confondus :

  • la quête par ceux-là, en pleine déroute, d’une ‘identité nationale » éradiquée de ses influences étrangères
  • ce dérisoire « programme d’opposition » alignant son train-train de mesurettes anti-crise… sans traiter une seule fois de ses deux causes principales : la dérégulation financière et la dette publique
  • cet organisme international sortant (mais un peu tard) de sa torpeur pour envoyer bombarder les monstres par lui-même engendrés, chouchoutés, sur-armés.

Insensiblement, la Grande Crise se fait tragédie planétaire sous nos yeux incrédules, impuissants, à l’image de ces malheureux Japonais, sur leur balcon, regardant abasourdis leur univers quotidien emporté par le tsunami, dans ces nouvelles scènes hallucinantes.

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