
Un billet, publié sur le blog lundimatin et s’en prenant à une chronique de Claude El Khal (Le Média) sur la Syrie, fait le buzz dans les médias mainstream qui le reprennent goulûment.
L’objectif du billet de Sarah Kilani [photo] et Thomas Moreau publié par lundimatin est clair : tenter d’enrayer un point de vue rompant avec la doxa médiatique occidentale sur la Syrie.
D’entrée, le ton (et la stratégie) sont donnés : les adjectifs-épouvantails, ceux qu’on vous jette à la figure en absence d’arguments sérieux, sont lâchés dès le premier paragraphe : révisionnisme, conspirationnisme (chacun sera répété deux autres fois dans la suite du texte) plus l’inévitable théorie du « complot » (distillée trois fois au total).
Ensuite l’attaque ad-hominem : Claude El Khal aurait le tort de n’être pas journaliste, mais juste « blogueur et dessinateur occasionnel ». Claude El Kahl se réfère-t-il à un vrai reportage d’un vrai journaliste présent sur place depuis plus de quarante que voilà celui-ci, Robert Fisk (The Independent), accusé d’autorité et sans sommation par nos deux grouillots de ne connaître « qu’un seul ennemi : l’Occident ». Ah, complotisme quand tu nous tiens !
L’autre tort de Claude El Kahl serait de n’avoir pas voulu publier d’images de la tragédie de la Ghouta au prétexte que celles-ci ne seraient pas suffisamment sourcées et ne montreraient que des civils en souffrance, mais jamais le moindre rebelle islamiste armé. Ce que pourtant chacun peut constater en parcourant les unes de nos médias prompts à s’enflammer pour les civils martyrs de la Ghouta dont vous pouvez parier que les survivants se jetteront dans les bras de l’armée syrienne, comme ceux d’Alep, quand cette ville assiégée sera libérée. Et que, passée cette reconquête, les bonnes âmes comme Sarah Kilani, Thomas Moreau et consorts oublieront instantanément le sort des civils de la Ghouta, comme ils ont instantanément oublié celui des civils d’Alep aussitôt la ville reprise.
Deux sources douteuses d’informations
Le billet de Sarah Kilani et Thomas Moreau tente ensuite de donner les arguments censés démonter le point de vue de Claude El Khal :
« Seulement voilà, viols, exécutions de masse, torture systématique des civils, bombardement des hôpitaux, usage des armes chimiques, siège, destruction de villes entières, déplacement de populations, tout ceci est abondamment documenté par les ONG, les journalistes de guerre, les chercheurs de terrain, les activistes et les dizaines de milliers de témoignages recueillis auprès des réfugiés syriens, faisant ainsi de ce conflit celui le plus documenté au monde. »
Ah bon ? Quels ONG, quels journalistes de guerre, quels activistes, s’il vous plaît ? Le billet du duo Kilani/Moreau ne cite en réalité que le Réseau syrien des Droits de l’homme (SNHR), une officine basée à Londres, ne comportant qu’un seul membre, Fadel Abdoul Ghani, sans le moindre représentant sur le sol syrien, et les Casques blancs, ces fameux « volontaires » qui n’apparaissent et disparaissent que dans le sillage des déplacements islamistes. C’est d’ailleurs quasi exclusivement par ces deux sources douteuses d’informations que transitent les infos terrains reprises en une par le clergé médiatique occidental.
Pour le reste, le pensum de nos deux procureurs se contente d’aligner le listing des accusations traditionnellement égrenées sans la moindre preuve par les mêmes médias occidentaux :
« Les 20 000 personnes mortes dans la Ghouta depuis le début du conflit, […] les pendaisons de masse dans les prisons du régime, la torture des enfants, le viol systématique des femmes, les bombardements des hôpitaux et l’usage des armes chimiques avec les exactions de groupes armés formés par la contrainte et la nécessité en réponse à la répression inouïe du régime contre les manifestants civils de la révolution syrienne. »
Un excès dégoulinant de pathos émotionnel malintentionné
Arrêtez le délire, n’en jetez plus ! C’est à se demander quand les armées d’Assad trouvent le temps de s’occuper des milices islamistes qui occupent le terrain. Cette énumération cataclysmique, toujours sans autres preuves que des affirmations, est si excessive qu’elle finirait presque par faire oublier les cruautés, bien réelles, commises par le gouvernement syrien d’Assad et les brutalités, tout aussi réelles, de son armée pendant le siège d’Alep ou de la Ghouta. On notera aussi que les auteurs de cet article à charge oublient comme par hasard de rappeler les sièges tout aussi brutaux et meurtriers de Raqqa et de Mossoul menées par la coalition occidentale pour déloger les mêmes combattants islamistes. Au fait, que diraient-ils si 10 000 islamistes s’emparaient d’une ville des banlieues parisienne ou bruxelloise ?
Tous ces excès dégoulinants de pathos émotionnel malintentionné ne mériteraient qu’indifférence et compassion s’ils n’avaient pas été fébrilement repris en boucle par les chroniqueurs patentés du microcosme, les Sinclair, Plenel, Aphatie, Enthoven… Dès lors, c’est la presse mainstream qui apparaît en première ligne de ce naufrage et démontre son total désarroi devant des évènements qui la dépassent et qui vont à l’encontre de l’empire dont elle défend de moins en moins efficacement les intérêts.
Citons pour finir un autre billet de Robert Fisk :
« C’est la leçon inévitable de cette guerre terrifiante. Les Syriens, avec les milices irakiennes et le Hezbollah, ont en effet des plans pour envahir la Ghouta tenue par les rebelles. Et après cette démonstration de puissance de feu, comment les Syriens et les Russes pourraient-ils s’arrêter désormais ? S’ils le faisaient, quel serait leur crédibilité lors du prochain siège ? Dans le nord-ouest d’Idlib, par exemple. Ou dans les villes tout autour. »