Les jeunes ont désormais leur destin en main (mais ils ne le savent pas encore)

File d'étudiants attendant une distribution alimentaire à Paris en janvier 2021 (photo : Rémy Buisine).

Ma peine de voir tous ces jeunes étudiants faire des queues interminables pour manger ne vient pas de ce qu’ils soient contraints à ces extrémités pour survivre, mais de savoir qu’ils ont leur destin en main et qu’ils n’en ont pas encore conscience.

On nous dit que beaucoup d’entre eux sont au bord du désespoir et du suicide. C’est pitié. Ceux-là n’ont juste pas encore fait le deuil d’un monde mort qui ne peut plus rien pour eux. Et pour cause : il est mort.

Toutes les grandes avancées humaines ont été produites par des générations qui n’avaient plus rien à perdre et qui ont tout gagné quand elles ont pris conscience qu’elles ne pouvaient plus continuer à survivre dans un monde mort. Les jeunes en âge d’étudier dans les années 40/45 durent eux aussi faire le deuil de leurs études. Eux aussi aussi avaient peine à se nourrir. Ils furent pourtant de ces générations qui bâtirent la Sécurité sociale, les lois du travail et qui achevèrent de s’émanciper en mai 1968.

Faire le deuil du monde mort pour revivre

Permettez qu’on préfère leur sort à celui des tristes nantis issus des Trente glorieuses, qui n’eurent pour ambition de réussite sociale que de rejoindre des écoles de commerce, entendez marketing, pour y apprendre les techniques destinées à manipuler des masses de consommateurs abêtis. Et qui, pour cossues qu’elles furent, n’eurent que des vies de merde sans intérêt.

Ce monde-là est mort. S’accrocher à ses ors dissolus en poursuivant des rêves d’études impossibles, dans un service éducatif en charpie, logés dans des réduits ineptes à loyers de vautours, c’est effectivement se condamner à bien des désillusions. L’avenir des jeunes d’aujourd’hui commencera lorsqu’ils auront enfin réalisé l’état de décomposition du cadavre. Les ruines, l’odeur nauséabonde qui en émane derrière son ultime rempart policier, vont les y aider.

La grande chance des jeunes d’aujourd’hui, quand ils auront fait le deuil du monde mort, quand ils auront fait pierre tombale des sinistres spectres qui le défendent encore, est d’avoir à s’en reconstruire un tout nouveau, tout neuf, comme des grands. Comme leurs glorieux aïeux des années d’après-guerre.

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Un voyageur à domicile en quête d'une nouvelle civilisation.