Le Yéti à l’hôpital : le personnel soignant sur le motif

Le personnel soignant, pour moi qui en plus n’ai jamais été malade, c’était un objet d’étude statistique à des fins d’analyse politique. Mais me voici sur le motif, avec des “objets” devenus sacrément humains.

Le job d’abord

Oh bien sûr, il y a la distance due à l’état. Quand elles rentrent dans ma chambre (il n’y a que des filles), le ton est affable, tonique, la plaisanterie facile. Mais on perçoit vite la façade de protection, distance professionnelle oblige. Je suis le patient, rien de plus, et je ne suis pas le seul. Chaque passage est rapide, les gestes précis qu’on devine sus sur le bout des ongles. Aucun débordement de mots. Une politesse jamais prise en faute. Mais distante. Le job.

Pourtant, le vernis de protection commence à s’estomper avec certaines. Je leur ai dit que sur mon ordi, je tenais la chronique de mon passage ici. Elles ont commencé à lever un sourcil. Je leur ai raconté le contenu de mon billet de yetiblog d’hier. Aucune n’en a pris ombrage. Elles comprennent.

« Je voudrais que tout ça soit terminé »

Notre discussion se construit par bribes, au fil de leurs passages fréquents, mais furtifs (le job, le job). Peu à peu, elles s’ouvrent un peu plus, me parlent de leur situation perso au sein de l’institution, de leurs espoir, de leur désespoir aussi. L’une d’elles, parmi les plus enjouées d’entre toutes, s’est subrepticement tournée contre la fenêtre, a baissé la tête et en me tournant le dos a murmuré :

« Je n’en peux plus, je voudrais que tout ça soit terminé. »

Mais elle se reprend très vite, retrouve son attitude joviale et repart vers d’autres chambres et d’autres patients d’un pas pressé. « Au revoir, Monsieur, à tout à l’heure ! »

C’est presque un privilège d’être malade parmi ces personnes

Une anecdote est survenue la nuit dernière. Je suis branché sur alarme avec surveillance permanente de deux critères vitaux : le taux d’oxygène dans le sang (ce pourquoi, je suis hospitalisé en fait) et le pouls. Or, à peine endormi, voilà l’alarme qui se met à sonner. L’infirmière de nuit vient, une fois, deux fois, trois fois, très calme, très patiente, mais un peu interloquée. Puis finit par constater : « Votre pouls descend en-dessous du seuil fixé. »

Je me suis alors rappelé ma vieille particularité cardiaque : je suis doté d’un coeur qui bat naturellement très bas, un « coeur de sportif » m’a-t-on expliqué à l’époque, parce qu’il me permet de récupérer très vite de l’effort. Alors quand je dors, bien sûr, le coeur aussi roupille. Mais quand l’infirmière de nuit venait, le pouls réveillé était déjà reparti dans la zone autorisée.

« Je suis désolé », lui ai-je dit. « J’aurais dû vous prévenir. » Elle a abaissé au plus bas le niveau d’alerte du pouls, puis est repartie en toute discrétion. « Ce n’est pas grave, Monsieur, je suis là pour ça. Bonne nuit. »

Ces personnes, je les aime, je les aime vraiment. C’est presque un privilège d’être malade parmi elles.

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Un voyageur à domicile en quête d'une nouvelle civilisation.