Le programme du Yéti : 11. Partage du travail

Dans une société où le plein-emploi a disparu depuis plus de trente ans, où les formidables progrès en matière de gains de productivité rendent son retour non seulement illusoire, mais inutile et même dangereux (pour le climat, pour les ressources énergétiques en voie d’épuisement), alors se pose le problème crucial du partage du travail restant à effectuer.

Trois constats :

  • Les méthodes classiques de réduction horaire du temps de travail sont très insuffisantes. Les trente-cinq heures n’ont apporté aucuun progrès significatif en matière de répartition des tâches, ni en termes de créations de postes.
  • Dans une société suffisamment riche pour satisfaire les besoins de sa population avec un temps de travail réduit (un progrès, non une calamité), alors le travail ne saurait être la seule condition sine qua non de la répartition des richesses produites.
  • On la finance comment cette incitation à la fainéantise ?

À trois questions, trois (tentatives de) réponses.

1. Un partage de travail sur une durée globale

Si la réduction traditionnelle du temps de travail, envisagée sur une durée horaire à la semaine ou même au mois, ne peut tout résoudre, alors le partage du travail ne peut se concevoir que sur sa durée globale, par une réduction sensible du nombre de trimestres à effectuer pour faire valoir des droits légitimes à la retraite.

Mais avec (et c’est nouveau) une possibilité de fractionner ce quota de trimestres par des périodes de congés sabbatiques pris tout au long du parcours professionnel.

Le partage horaire du temps de travail peut être certes maintenu pour des emplois ne demandant pas de qualification particulière, généralement guère valorisants. Beaucoup moins pour les métiers à spécialisation poussée (un médecin, un enseignant, un boulanger, un maçon, travaillant vingt heures par semaines ?).

2. Un revenu de base évolutif

L’idée d’un « revenu de base » ou « d’existence » garanti à chacun pour satisfaire ses besoins primordiaux (se nourrir, s’habiller, se loger, se soigner, s’éduquer) fait peu à peu son chemin dans les mentalités, sinon dans les projets politiques.

Mais il va de soi que mon hypothèse de base (fractionner dans le temps son quota de trimestres travaillés) suppose que ce minimum vital garanti soit évolutif. En effet, comment laisser à ce seul minimum basique quelqu’un qui, au moment de prendre un congé sabbatique, aurait déjà accompli une partie de son quota de trimestres  ?

Voilà pourquoi je suggère la création de points d’activités, définitivement acquis, valant indemnités qui viendraient s’ajouter au revenu de base en fonction de la tâche accomplie.

3. Les faux problèmes du financement et de l’incitation au travail

Il n’y a que dans une société détraquée par les financiers que l’argent soit un problème. Une économie saine repose d’abord :

  • sur la force de travail nécessaire disponible ;
  • sur la quantité et la répartition de biens et de services nécessaires à sa population.

L’argent n’est (en principe) que l’huile injectée par les mécanos des banques centrales dans les rouages de la machine.

Et l’incitation au travail ne repose pas seulement sur la quantité d’argent attribuée en rémunération. Sinon, les associations et Internet manqueraient cruellement de bénévoles, ce qui n’est pas le cas. Dans une société saine, la notion de fonction sociale se substitue au salariat corvéable à merci.

Nulle question bien sûr de remettre ici en cause le principe de l’incitation financière. D’autant que bien des tâches de nécessité publique à accomplir ne se distingue guère par la valorisation sociale qu’elle apporte (ramasser les poubelles, bof…).

Sur ce point, une autre idée me taraude que je livre ici en pâture à vos réflexions aiguisées : la création d’un service national civil pendant lequel tout citoyen de tout sexe et de tout milieu se verrait affecter, un temps donné, à des tâches d’intérêt général. Les partisans forcenés de l’éducation à la citoyenneté ne sauraient qu’approuver, non ?

Des garde-fous pour les réalités de demain

Certains objecteront à mon raisonnement que la révolution écologique indispensable pourvoira largement à la raréfaction actuelle du travail. C’est à mon avis une manière de dégager en touche, faute de parvenir à s’affranchir complètement des vieux schémas de pensée sur la valeur travail.

Car rien n’est moins sûr que leur hypothèse. Et même si cela était, ça ne justifierait en rien qu’une société riche ne garantisse pas un minimum vital à tous ses citoyens (quid des mi-temps, des parents isolés ?).

Pour finir, évitez de crier à l’utopie et de me répéter qu’il n’y a aucune force politique aujourd’hui pour mettre mes petites idées en pratique. Je le sais. Pas facile de décrotter les vieilles mentalités. Mais ce programme n’a d’autre ambition que de prendre date pour le futur. Un garde-fou pour les réalités de demain.

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Un voyageur à domicile en quête d'une nouvelle civilisation.