Dans la gueule du loup : ce qui pourrait être le plus magistral des arguments pour concrétiser le sauvetage du Média

Consterné, j’apprends ce soir la nouvelle du départ de Jacques Cotta, réalisateur de l’indispensable émission « Dans la gueule du loup ». Des explications s’imposent. Avec une idée de solution.

Jacques Cotta explique les raisons de son départ sur le site La Sociale. En cause (selon lui) le sujet de sa prochaine émission, « l’Italie, la péninsule des paradoxes ».

À l’en croire, Aude Lancelin et la rédaction du Média auraient refusé à l’unanimité ce sujet au prétexte que « le Média ne sera jamais le lieu pour amorcer l’union du souverainisme de gauche et du populisme de droite ». Une telle initiative, poursuit-il en citant les justifications de la rédaction du Média au refus de ce sujet, « ne passerait pas inaperçue, et mettrait le Média en dangers ».

Pour l’instant, je n’ai pas connaissance du point de vue d’Aude Lancelin et de son équipe. Mais si la raison avancée par Jacques Cotta pour justifier son départ était confirmée, je désapprouverai totalement la décision du Média pour les raisons suivantes :

  • ce qui se passe actuellement en Italie est symptomatique des bouleversements qui agitent l’Europe, bien moins caricatural qu’une simple opposition souverainisme de gauche/populisme de droite, et mérite amplement d’être porté et discuté devant le public ;
  • les socios et les autres fidèles du Média sont à même de se faire une opinion par eux-mêmes, sans qu’une équipe de rédaction ne décide ce qui est bon ou mauvais pour eux ; Jacques Cotta a largement démontré dans les six premiers épisodes de son émission sa capacité de présenter un sujet sous toutes ses facettes, sans exclusive d’un seul point de vue.

Encore une fois, j’ignore le point de vue d’Aude Lancelin et de son équipe, mais attend leurs explications pour poursuivre ou non mon soutien à la tentative de sauvetage de ce Média pourtant aussi indispensable que l’émission de Jacques Cotta.


EDIT : LE POINT DE VUE DU MÉDIA

Bonsoir à tous,

Voici un message des équipes du Média concernant l’annonce du départ de Jacques Cotta :

Nous découvrons à regret le message mis en ligne publiquement et envoyé en même temps en interne aux équipes où il annonce son départ.

Il s’agit de préciser certains points :

  • Plusieurs mails ont été échangés expliquant les raisons pour lesquelles une très grande gêne a été ressentie à la lecture de cette proposition d’émission, et suggérant à Jacques de nombreux autres sujets qui auraient un grand intérêt à être traités par le Média.
  • Depuis le lancement de cette saison 2, notre fonctionnement interne à changé. Il est devenu collégial, et c’est donc ensemble que nous avons acté le refus d’une émission sur l’Italie qui aurait un tel angle.
  • La dernière émission de Jacques Cotta, consacrée à la laïcité, a été choisie et préparée après avoir acté ensemble la thématique, sans aucune autre intervention de la direction ou du collectif.
  • Nous sommes extrêmement déçus que, sans même chercher à discuter avec notre collectif, Jacques Cotta ait décidé de partir de manière aussi brutale qu’unilatérale. Le Média doit rester un espace de débat dans lequel un désaccord ne peut donner lieu à un chantage au départ.

Pour que chacun puisse comprendre et se faire un avis, nous portons à votre connaissance le projet d’émission envoyé par Jacques Cotta sur la question italienne :

L’ITALIE, OU LA PÉNINSULE DES PARADOXES

Fort de l’expérience de l’élection présidentielle, où l’opposition frontale au deuxième tour avec MLP a assuré sa victoire, Emmanuel Macron aimerait bien réitérer l’opération pour les élections européennes.

Alors qu’il incarnerait le « camp des progressistes », l’ennemi désigné serait les « populistes », « nationalistes », ou encore « fascistes ». Macron synonyme du bien, Salvini et Di Maio par exemple en Italie pour figurer le mal.
Mais le scénario écrit par le président français, et récité de leur côté par les représentants de la gauche, résiste t’il à l’analyse objective des faits ?

Les fascistes au pouvoir en Italie ? Mais les fascistes, par définition, refusent le système démocratique. Pourtant Di Maio et Salvini ont bien été élus dans le respect des institutions italiennes… Paradoxe ?

Les fascistes dans l’histoire sont portés au pouvoir par le capital pour s’opposer de façon musclée aux revendications ouvrières. Mais les décisions prises par le gouvernement italien sont à l’opposée de cette ligne de conduite. « C’est le bien être du peuple italien qui compte », affirment en effet les responsables Di Maio et le « fasciste » Salvini en défiant l’UE sur leur budget qui autorise 2,4% de déficit pour satisfaire des dépenses sociales. Ainsi, les mesures budgétaires décidées à Rome accroissent le droit de partir à la retraite lorsque le progressiste Macron tape toujours un peu plus sur les retraités… Nouveau paradoxe?

De même les gouvernants italiens prévoient un revenu de citoyenneté pour combattre la pauvreté lorsqu’ici ont propose de traquer le chômeur responsable de son chômage… Encore un paradoxe?

Le gouvernement italien en refusant les règles de l’UE ne résiste t’il pas de fait à la mondialisation incarnée par l’UE et ses institutions? Salvini et Di Maio opposés à l’austérité lorsque la « gauche italienne » réclame des tours de vis. Le monde à l’envers ? Paradoxe ?

Et la question migratoire ?

N’est-ce pas la péninsule qui a accueilli en deux ans plus de 700 000 réfugiés alors que Macron autorise un amendement à la loi asile et immigration qui permet d’appliquer à Mayotte un droit de la nationalité différent de celui qui s’applique au reste de la France, fondé sur le fait qu’il y existe des migrations importantes ? Là encore, paradoxe ?

N’est-ce pas le « fasciste » Salvini qui a ordonné aux gardes côtes italiens d’escorter, nourrir et soigner sur l’Aquarius les migrants en perdition dirigés vers l’Espagne ?

Et puis, une majorité politique italienne tournée vers « l’extrême droite » lorsque le parti communiste il y a quelques décennies étaient le premier d’Europe, aux portes du pouvoir, n’est-ce pas là encore un nouveau paradoxe ?

Alors,

L’Italie, infréquentable pour ses chefs, enviée pour certaines mesures qui sont à l’œuvre ?

L’Italie, la péninsule des paradoxes ?

C’est cela que nous allons traiter dans ce nouveau numéro de DLGL…

Jacques Cotta


MON AVIS

Je comprends les réticences du Média à propos d’une situation – italienne, mais aussi hongroise, polonaise, autrichienne… bientôt française ? – qui illustrent les soubresauts actuels de notre monde et de son système dominant.

Je regrette la décision un peu brutal de Jacques Cotta de couper les ponts aussi rapidement, sans prévis, ni discussion.

Mais je partage tout à fait son point de vue sur les « paradoxes » italiens : d’un côté, l’insupportable position anti-réfugiés (même si celui-ci peut s’expliquer, comme le rappelle Jacques Cotta, par la situation jusqu’ici exposée de l’Italie à ce problème), l’étalage grossier d’homophobie et de machisme ; de l’autre côté, un train de mesures sociales que ne peut pas renier la vraie gauche : la décision de pratiquer une politique de relance en faisant fi des injonctions de l’UE, des règles de protection des revenus (le minimum social) et des conditions de travail (le rétablissement de contrats de travail sécurisants et le durcissement des conditions de licenciement).

Nous vivons une époque troublée qui nous désarçonne. Nous devons l’examiner sans trouble, ni crainte, ni repli frileux sur des certitudes passées et dépassées. C’est pourquoi, je pense que l’émission de Jacques Cotta sur l’Italie de Salvini s’impose absolument, quitte à ce que la rédaction du Média y apporte ses réserves une fois celle-ci diffusée.

J’ose espérer que les passions vont laisser place à la raison, que la rédaction du Média et Jacques Cotta vont convenir d’une entente cordiale sur la diffusion du prochain DLGDL (et des épisodes suivants). Ce serait, je pense, la position la plus courageuse de part et d’autre, et le plus magistral des arguments pour concrétiser le sauvetage du Média.

 

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