
2. La Russie, un géant sans aucune protection naturelle
Cette recherche de glacis protecteur, quitte à empiéter sur les territoires proches pour accéder aux protections naturelles (Carpates, Caucase, Montagnes célestes et Pamir) est à la base de l’impérialisme défensif mené tant par les tsars que par les bolcheviques. Là encore, l’idéologie politique ne fait pas le poids face à la géographie…
Pays le plus étendu au monde, mais en quête constante de sécurité, étalé sur onze fuseaux horaires, mais sans aucune montagne ou mer pour le protéger : les paradoxes ne manquent pas. Et ils sont souvent à l’origine d’une réelle incompréhension, non feinte pour le coup, chez nombre d’observateurs (nous ne parlons pas ici des plumitifs en service commandé).
Combien de fois n’entend-on pas l’interrogation suivante : « Mais enfin, la Russie est déjà tellement grande, pourquoi Poutine cherche-t-il encore à grappiller un confetti supplémentaire ? Il doit être maniaque. » Eh non, il n’est ni fou ni paranoïaque. Il est simplement le dernier représentant d’une lignée multi-séculaire de dirigeants russes obnubilés par la sécurité de leur pays, souvent mise à mal par sa géographie dans le passé.
Personne n’a d’ailleurs jamais bien su si la taille gigantesque de la Russie était une force ou une faiblesse. N’oublions pas, par exemple, que ce facteur a joué son petit rôle dans les événements qui ont conduit au déclenchement de la Première guerre mondiale. Lorsque Nicolas II décréta la mobilisation générale suite à l’ultimatum de l’Autriche à la Serbie, il s’agissait d’une mesure belliqueuse certes, mais aussi de simple organisation : regrouper des troupes disséminées aux quatre coins de l’empire à des semaines de marche les unes des autres. Mais pour l’Allemagne, dont l’imaginaire géographique était bien plus limité, cela équivalait à un casus belli.
Les points faibles du territoire russe
Malgré sa taille considérable, malgré le manque de défenses naturelles, la Russie a au moins une chance, celle d’être généralement d’un seul tenant. Il existe cependant trois exceptions, trois goulets d’étranglements :
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Le premier[1], face à la Finlande, débouche sur la Carélie, Mourmansk et l’océan Arctique. Le deuxième [2], entre l’Ukraine (tiens tiens…) et le Kazakhstan, mène à Sochi, devenue quasiment la nouvelle capitale diplomatique russe, puis au Caucase et, depuis 2014, à la Crimée via le pont de Kertch. A l’autre bout du pays, le troisième [3] conduit à l’extrême-orient “utile” du pays et à la mer du Japon.
Cette carte vue du ciel est peut-être plus parlante encore, où l’on voit que les trois pattes de l’ours pourraient être, en théorie, facilement ligotées :
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Pour ne rien arranger, les trois boyaux en question contrôlent également l’accès aux trois grands ports (Mourmansk [M], Sébastopol [S], Vladivostok[V]) de la flotte russe, dont on sait à quel point la fameuse “tentation des mers chaudes”, et même de la mer tout court, a été une obsession stratégique tout au long de l’histoire…
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Aussi ne sera-t-on pas surpris de constater que ces trois zones ont toujours été au centre de toutes les préoccupations russes : guerre soviéto-finlandaise de 1939-1940 pour la première et affrontements sino-soviétiques sur le fleuve Amour dans les années 1960 pour la troisième. Avec la “finlandisation” (dont le terme est d’ailleurs entré dans le vocabulaire courant), c’est-à-dire la neutralité de la Finlande, d’une part, et le grand rapprochement entre Moscou et Pékin d’autre part, la situation a finalement été réglée sur ces fronts.
=> Source : Le Grand jeu
- Épisode 1 : L’influence de la géographie sur la politique des États
- Épisode 2 : La Russie, un géant sans aucune protection naturelle
- Épisode 3 : L’Ukraine, une dague plantée dans le ventre mou de la Russie
- Épisode 4 : La réponse russe en Ukraine était inévitable