Le Grand jeu : le sultan blackboulé (suite : MAJ du 17/10)

Note du Yéti – Seconde mise à jour du Grand jeu sur les évènements en Syrie du nord : la Turquie en difficulté sur le terrain et en dehors, des véhicules pro-Assad arborant des drapeaux syriens, kurdes (YPG) et russes…


***** Mise à jour 17/10 *****

Les derniers événements confirment la direction prise par la guerre depuis l’accord du 13 octobre. Les Turcs sont en difficulté, sur le terrain et en dehors. Assurés sur leurs arrières par l’armée syrienne et au-dessus par l’aviation russe, les Kurdes sont passés en mode contre-attaque et font reculer les Ottomans.

Les loyalistes continuent d’investir le Rojava et prennent le contrôle des axes routiers (en orange sur la carte). Le déploiement de l’armée se fait en deux phrases. La première consiste à se porter sur les lignes de front et vers la frontière, afin de contrer/minimiser toute avance turque. La seconde, plus tardive, verra le gouvernement assurer son retour dans les autres zones actuellement SDF.

Symbole entre les symboles, les forces d’Assad se sont déployées à Kobané (4), ville kurde martyre, attaquée à la fois par Daech et bombardée par les Turcs il y a cinq ans. L’entrée dans la ville a vu un défilé détonnant de véhicules arborant des drapeaux YPG, syriens et russes. Ses habitants peuvent dormir tranquilles, Kobané est sauve désormais.

Tel sera peut-être aussi le cas bientôt de Ras al-Ain (1). Prise au début de l’invasion, la ville a été par la suite reconquise par les Kurdes. Les combats font rage et les pertes sont lourdes : une vingtaine d’YPG et une soixantaine de supplétifs sultanesques, qui s’acharnent néanmoins à revenir.

Un peu plus au sud (2), les modérément modérés ont également reculé et la route qui ravitaille Ras al-Ain est dégagée. Là comme ailleurs, l’armée syrienne assure les arrières des Kurdes et, sans l’aviation turque qui leur permettait d’avancer facilement, les petits protégés d’Ankara trouvent soudain la tâche bien difficile…

Vers Tell Abyad (3), perdue très vite la semaine dernière, les Kurdes, épaulés par la présence syro-russe à Ayn-Issa, avancent aussi, reprenant plusieurs villages au sud de la ville.

Militairement parlant, l’offensive d’Erdogan semble presque terminée. Tout juste peut-il essayer de tenir les quelques arpents de sable entre Tell Abyad et Ras al-Ain. Quand on voit l’objectif de départ (ligne rouge) et la zone réellement conquise (en noir), on comprend mieux le flop monumental de l’opération…

Les tenants d’une entente secrète entre Ankara et Damas sur le dos des Kurdes en sont pour leurs frais. Non seulement Erdogan est à des années-lumière de la “zone de sécurité” rêvée, mais il est même très loin du rectangle dont parlait la rumeur, entre Tell Abyad et Ras al-Ain et jusqu’à la M4. Les Kurdes contre-attaquent avec la bénédiction de Damas et parfois même coude-à-coude avec l’armée syrienne, ce qui cadre mal avec la thèse d’une conjuration syro-turque.

À Manbij (5), où là aussi l’offensive ottomane a fait pschit, un soldat turc a été tué par un barrage d’artillerie des loyalistes pour calmer les ardeurs des potentiels assaillants. Message reçu, la zone est redevenue à peu près calme.

Dans son palais des mille et une nuits, le sultan doit éructer. La glorieuse campagne s’est transformée en fiasco, l’économie turque se prépare au pire tandis ses soutiens internationaux se comptent sur les doigts d’une main. À ce propos, notons que le Qatar et le Pakistan, bien esseulés dans cette galère, ont été rejoints par le Hamas. Cette nouvelle trahison du mouvement palestinien vis-à-vis de ceux qui l’ont fait vivre pendant des décennies (Assad et l’Iran) ne passera peut-être pas inaperçue…

Est-ce la raison pour laquelle Erdogan semble mettre un peu d’eau dans son arak ? Contrairement à ce que titre l’imMonde (« Erdogan durcit le ton »), on sent au contraire un léger flottement chez le maître d’Ankara : « Notre proposition est la suivante : que tous les terroristes [les Kurdes, ndlr] déposent leurs armes et leurs équipements, détruisent toutes leurs fortifications et se retirent de la zone de sécurité que nous avons fixéeLorsque ce que nous avons décrit sera fait, de Manbij à la frontière irakienne, alors notre opération Source de paix, qui ne vise que les terroristes, se terminera d’elle-même. »

Ah bon ? Fini le projet de peupler la zone avec 3 millions de réfugiés afin de couper le peuple kurde en deux ? Terminés les rêves de grandeur néo-ottomane visant à redécouper les frontières ? Sa demande, bien modeste par rapport à ce qui se disait il y a encore quelques jours, ne porte plus que sur le retrait de 30 km des YPG.

On en saura sans doute plus quand le sultan ira faire, la semaine prochaine, son énième chemin de Sochi pour rencontrer celui qui, plus que jamais, a toutes les cartes en main.

=> Source : Le Grand jeu

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