Le « Grand débat » vu de ma ville : le contre, le pour et les suggestions

J’habite une petite ville du Morbihan, Séné. Le maire de ma ville a organisé une réunion « Grand débat » le 1er février. Voici pourquoi je n’y ai pas assisté. Mais voici aussi pourquoi tout n’y fut pas négatif.

Lorsque j’appris que le maire de ma ville, Luc Foucault (gauche), allait organiser une réunion sous l’intitulé officiel de « Grand débat », j’ai téléphoné à la mairie et demandé en quoi allait consister cette réunion : un débat « organisé dans le cadre fixé par la présidence de la République », me fut-il répondu.

Rappelons ce cadre : 4 grands thèmes (jusque là, rien à redire, on peut y mettre ce qu’on veut), encadrés par 35 questions archi-fermées interdisant en réalité d’aborder les vrais problèmes de société tels qu’ils furent soulevés par les Gilets jaunes.

Je contactais les Gilets jaunes du coin via leurs pages Facebook pour les informer de cette réunion municipale (peu étaient au courant) et leur demander leur opinion. Fallait-il participer, y assister comme témoins, ne pas y aller ? Il fut décidé de n’y point aller pour deux raisons :

  • l’appellation « Grand débat » était trop connotée comme une opération d’enfumage montée par un président aux abois pour contrer un soulèvement populaire de déjà 12 semaines ;
  • certaines autres réunions de ce type avaient déjà eu lieu, qui s’étaient conformées strictement au cadre asphyxiant fixé par le pouvoir, dissuadant de ce fait les dernières velléités de participation.

Un cahier de doléances… proches des revendications des Gilets jaunes

La réunion organisée par Luc Foucault à Séné le 1er février ne se déroula pas comme les Gilets jaunes et moi-même le craignions. Un rapport très détaillé de la réunion me fut communiqué par une participante (télécharger ce rapport en version pdf).

Si le cadre des 4 grands thèmes fut retenu, celui des 35 questions enfermantes fut évacué. Tous les problèmes sensibles furent donc abordées : ISF, baisse des taxes, partage des richesses, le CICE, les trop bas salaires…

De fait, les quelques 120 participants – en majorité des personnes d’un âge moyen, disons, plus proche de la retraite que des ronds-points voisins – élaborèrent un catalogue de doléances plutôt proches des revendications des Gilets jaunes… à qui ils rendirent hommage ! Extraits du compte-rendu de la réunion :

– Avec les gilets jaunes nous vivons des moments historiques.
Ils veulent vivre dignement de leur travail, être mieux payés, mieux considérés.
– Ils nous ont donné l’occasion de ce débat pour obtenir les solutions que, nous tous recherchons, pour le mieux-être de tous.

Bilan : le contre, le pour et les suggestions

J’émets toujours des réserves sur l’organisation et la tenue de cette réunion que je considère comme un acte manqué pour les raisons suivantes :

  • pour les motifs évoqués plus haut, l’appellation « Grand débat » prêtait à confusion et dissuadait les Gilets jaunes d’y participer ; or, il ne me semble pas concevable qu’un débat démocratique puisse avoir lieu en l’absence de ceux qui l’ont initié, dans la rue et sur les ronds-points ;
  • en l’état actuel des choses, il y a toutes les chances que les doléances établies par les Sinagots restent lettres mortes, les participants reconnaissant eux-mêmes que celles-ci ne peuvent  être intégrées dans le cadre contraignant prévu par l’Élysée ; il est plus qu’assuré que le pouvoir, tout à son opération médiatique, se félicitera de la tenue de ces réunions et en négligera le contenu.

C’est une technique d’endormissement bien connu des politiciens de donner aux citoyens l’impression de pouvoir s’exprimer et d’être écoutés, avant de faire tout le contraire de ce qu’ils attendent. (On rappellera aussi le triste sort d’autres cahiers de doléances lancés sous la pression populaire, puis piétinés par un lointain prédécesseur d’Emmanuel Macron, Louis Seize, en mars-avril 1789, quelques mois avant d’être déposé et guillotiné).

Je reconnais cependant deux mérites à cette réunion de Séné :

  • la population sinagote a ainsi pu signifier sa sympathie, sinon son soutien, au mouvement des Gilets jaunes (ce qui n’était pas forcément évident d’entrée) ;
  • même loin des ronds-points, cette population en avait gros sur la patate et s’est abondamment lâchée, au point qu’il faudra une seconde réunion, fixée le 8 février, pour aborder les deux thèmes restant à discuter : la transition écologique, la démocratie (le RIC !).

Que manquait-il à cette réunion pour être pleinement satisfaisante ? D’être présentée comme l’occasion d’un débat neutre permettant de réunir toutes les tranches d’âges et toutes les classes sociales de la population (finalement pas si éloignées que ça sur les sujets concernés). Son but : non pas élaborer des doléances susceptibles de convaincre Emmanuel Macron de les satisfaire (impensable !), mais souder entre elles ces classes sociales à travers quelques idées-forces. Deux suggestions :

  • organiser un débat sous « appellation neutre » (le « débat citoyen » ?) ;
  • trouver les moyens et les mots pour toucher et mobiliser les classes jeunes et les classes populaires ; NB : se contenter de communiquer par voie de presse locale est inopérant puisque celle-ci n’est pas lue par les intéressés ; par contre les Gilets jaunes disposent de réseaux sociaux très efficaces et très actifs, comme par exemple, près de Séné, le groupe Facebook Gilets jaunes d’Atlantheix (901 membres actifs), ou encore La France en colère Vannes 56 (6.678 membres, parmi lesquels des Sinagots).

=> Merci à Jeanne Moreau pour son rapport de réunion

A propos de Pierrick Tillet 3377 Articles
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