L’ANNÉE DU « GRAND BOULEVERSEMENT »

((/public/19_mars.jpg|19 mars|L))Les alertes nous arrivent en boucle, implacables.  »<< Réchauffement climatique : plus que 20 ans pour agir >> », titre Damien Jayat dans un [excellent article|http://www.rue89.com/infusion-de-sciences/2009/03/18/rechauffement-climatique-plus-que-20-ans-pour-agir] sur Rue89.  »<< Lorsque fondent les glaciers, il est déjà trop tard >> », surenchérit le quotidien anglais The Independent dans son [éditorial du 12 mars 2009|http://contreinfo.info/article.php3?id_article=2589]. Certains éditorialistes de la presse en cour, jadis fervents partisans de la mondialisation, commencent à sérieusement douter. Thomas Friedman, du New York Times, présente désormais l’année 2008 comme celle du [« Grand Bouleversement »|http://contreinfo.info/article.php3?id_article=2587] :  »<< L’année 2008 est celle où nous avons heurté un mur — celle où Mère Nature et le marché nous on dit tous deux : "assez". >> »

Pourtant, pendant ce temps-là, nos valeureux chefs du monde s’échinent toujours à préparer tels des automates leur énième G trucmuche, le énième plan de sauvetage de leur organisation en pleine capilotade. Avec pour seul horizon bien vacillant, la supputation très aléatoire d’une divine “reprise”. Aucune autre perspective, pas le moindre petit plan B d’urgence à mettre sous le coude de l’humanité en danger. En réalité, ces pauvrets sont bel et bien coincés entre l’envie de sauver un système qui fait perdurer leur emprise sur le monde, et la crainte diffuse de se prendre le ciel sur la tête. Thomas Friedman cite Paul Gilding, grand expert australien des questions environnementales :  »<< Quand nous regarderons en arrière, 2008 sera vue comme une année capitale dans l’histoire humaine. Nos enfants et petits-enfants nous demanderons, “Comment était-ce ? Que faisiez-vous quand les choses ont commencé à s’effondrer ? Que pensiez-vous ? Qu’avez-vous fait ?” >> » Ce que nous avons fait ? Le 19 mars, après le 29 janvier, nous avons défilé en masse en réclamant qu’on sauve “nos emplois et notre pouvoir d’achat”, en reprenant en chœur de sempiternels slogans un peu puérils :  »<< Aucu… aucu… aucunézitation ! >> » Bon, bon, d’accord, ne boudons pas notre plaisir ! Cette journée fut un franc succès. Par son affluence croissante et par la détermination affichée dans tous les défilés. De telles manifestations de ferveur populaire dans la protestation sont nécessaires, vitales même. Mais limitées à cela, elles ne resteront que monômes immatures sans lendemains. La grande force du LKP guadeloupéen fut de bétonner ses manifestations de protestation par une liste extrêmement précise de 146 revendications. C’est finalement d’avoir imposé à leurs interlocuteurs incrédules l’examen minutieux de chacun d’entre eux, qu’ils parvinrent à faire mettre un genoux à terre aux impudents “pwofiteurs”. C’est grâce à cette plateforme très structurée et structurante qu’ils réussirent à fédérer les foules des semaines durant derrière eux, et à endiguer au maximum ces débordements aveugles qui éclatent lorsque l’impuissance se mêle au désarroi et à la colère. Pendant le confortable laps de temps qu’ils s’accordent entre deux sorties, nos confédérations syndicales avaient tout loisir de bâtir et de finaliser officiellement un tel catalogue, une telle stratégie. Ils n’en firent rien, se contentant de lister comme à leur habitude quelques vagues revendications basiques pour faire bonne mesure. Il suffit pourtant d’un zeste de bon sens, de simplicité et de ténacité. Que n’exigeons-nous l’extension immédiate de la mesure préconisée par Barack Obama : la limitation des revenus obscènes à tous les niveaux et la refonte urgente de l’échelle de ces revenus, avec garantie d’un minimum vital décent pour tous, travailleurs ou non ? Que n’exigeons-nous l’application immédiate de la suggestion de Nicolas Sarkozy de partager à égalité les bénéfices des entreprises à parts égales entre salariés, actionnaires et investissements ? Que n’exigeons-nous une loi sur un droit au logement pour tous avec réquisition au besoin des milliers et des milliers de logements vides ? Que n’exigeons-nous cette “moralisation financière” si universellement revendiquée en imposant aux banques, renflouées par le contribuable, des investissements exclusivement productifs et non stupidement spéculatifs ; écologiquement responsables et non voués à la grande ruée en avant suicidaire. Que n’exigeons-nous le respect immédiat des normes minimum qui permettraient sinon d’enrayer, au moins de limiter les dégradations climatiques que nous avons causées ? Parce qu’enfin, permettre aux riches à 4×4 ou aux multinationales arrogantes de continuer à se payer le droit de polluer sous prétexte de “développement économique”, c’est comme autoriser, moyennant rétribution, un de vos invités incontinents à se soulager au milieu de votre salon ! Ce ne sont pourtant pas les sujets qui manquent. Mais la liste exhaustive et finalisée de ce qui aurait pu être notre plateforme à nous, tarde à sortir des chapeaux syndicaux et politiques. Maturité syndicale et politique insuffisante ? Absence de réelle volonté de changement ? Au bénéfice du doute et avec une extrême indulgence, penchons pour la première hypothèse ! Mais au lendemain de ce 19 mars réussi, comment ne pas comprendre que nous ressentions comme une impression persistante de solitude et de frustration. Face à l’imminence prévisible de la catastrophe, nous ne saurons faire longtemps l’économie d’une réelle prise de conscience de notre bien périlleuse situation, ni d’une réaction constructive et résolue pour échapper au désastre. Faute de réponse politique et syndicale cohérente, adaptée et rigoureuse, nos désirs enfantins de “rêve général” risquent fort de s’achever en cauchemar douloureux. ///html

Notes
Un très grand merci au site Contre Info qui relaie avec intelligence et obstination une bonne partie des textes économiques dont je m’inspire pour mes petites chroniques. S’il vous reste une petite place, inscrivez-le dare-dare dans vos favoris et dans vos liens.

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A propos de Pierrick Tillet 3377 Articles
Un voyageur à domicile en quête d'une nouvelle civilisation.