La vie torrentielle

Assisté dans le cadre du festival littéraire America de Vincennes, à un débat passionnant et passionné entre les écrivains Nancy Huston et Wendy Guerra << autour d’Anaïs Nin >>.

Du coup, je me suis re-précipité sur la << Correspondance passionnée >> entre Anaïs Nin et Henry Miller (éd. Stock).

J’avais lu, ou plutôt dévoré ce livre lors de sa parution en français il y a une vingtaine d’années. Mais il avait mystérieusement disparu des rayons de ma bibliothèque (j’adore cette idée de perdre ou de me faire piquer mes bouquins, plutôt que de les voir s’empoussiérer sur des étagères.)

Une passion incandescente

Je tiens Anaïs Nin et Henry Miller pour des écrivains majeurs de l’époque contemporaine. Et non seulement des écrivains, mais aussi des acteurs essentiels dans l’explosion des barrières morales qui figeaient les relations physiques amoureuses des sexes en une sorte de gymnastique convenue et étriquée.

L’un et l’autre furent à l’origine de la libération sexuelle et de l’émancipation féminine qui connurent leur apogée dans les années soixante.

Leur correspondance est à leur démesure : courriers brûlants, ravageurs, de la même passion exacerbée qui les conduisait à écrire comme des fous pour s’approprier leur vie.

Zone d’ombre privée et spectacle publique

Une chose m’indispose un peu chez Nin et Miller : ils furent presque exclusivement ce que l’on peut appeler des écrivains de l’intimité. C’est ainsi que leur correspondance put traverser la Seconde guerre mondiale sans que celle-ci ne les soucia outre mesure (en 1945, Anaïs n’évoque un << camp de concentration >>… que pour qualifier son exil aux États-Unis durant le conflit).

La violence qu’ils mirent à abattre les murs entravant les relations individuelles, à éclairer les parts d’ombres des rapports humains, explique sans doute pourquoi ils se cantonnèrent à la partie privative de leur existence, sans trop d’égards pour la scène publique.

Mais on remarquera à l’inverse que d’autres, beaucoup d’autres, se réfugient dans la représentation des passions publiques, politiques, sociales, culturelles, en négligeant ou en ignorant obstinément les soubresauts et les séismes privés, en cherchant à tenir à distance, sinon à nier, ces zones d’ombre privées qui, en nous, nous affolent.

Un plaisir inextinguible et doux

Est-il inconcevable que nous puissions concilier en un seul et unique tout, l’ensemble de ces facettes humaines, privées et publiques réunies ? Notre vie est-elle si dévorante que nous fassions l’impasse sur l’un ou l’autre de ses côtés alors qu’ils devraient être si interdépendants ?

C’est pour rétablir une sorte d’équilibre, pour tenter de réconcilier, d’harmoniser ces forces telluriques qui nous habitent, que je glisse aujourd’hui ce petit billet en forme d’hommage aux deux chers compagnons de route que sont pour moi Anaïs Nin et Henry Miller.

Car être dévoré et dévasté par le tumulte d’une vie pleine et entière est un plaisir inextinguible et doux.

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Un voyageur à domicile en quête d'une nouvelle civilisation.