Pierre Rabhi : « Le problème est de savoir s’il y a une vie avant la mort »

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Étourdissant face-à-face, jeudi soir, entre Jean-Marie Le Clézio et Pierre Rabhi sur le plateau de « La Grande librairie », l’émission de François Busnel sur la 5. Un condensé incroyable d’émotion et de simplicité assumée sans jamais le moindre soupçon de forfanterie.

Comment rendre compte de la richesse d’un tel échange ? Comment illustrer la luminosité des propos qui volèrent si haut ce soir-là ? J’ai trouvé. Je vais vous reconstituer en condensé la discussion qui opposa — opposa ? — ces deux personnages d’exception.

Le choix de la beauté

Pierre Rabhi : La joie d’exister, c’est le bien suprême, le goût de la vie de tous les jours. La joie d’exister s’accompagne d’une espèce de légèreté. Pour moi, c’est le bien suprême parce qu’elle est accessible sans l’intermédiaire d’aucune matière. Nul besoin d’anxiolytique pour l’atteindre. La joie d’exister, c’est comme l’intelligence qui n’a rien à voir avec l’aptitude du cerveau.

Jean-Marie Le Clézio : Cette joie d’exister, je ne l’ai pas atteinte personnellement, mais je l’ai rencontrée chez les indiens Embera du Panama. Des êtres tout à fait exceptionnels qui vivent dans un milieu difficile et qui ont décidé de le préserver car ils savent qu’ils n’ont pas de monde de substitution.

PR : Quand nous avons décidé en 1961 de vivre cette aventure précaire dans cette ferme ardéchoise isolée dans un milieu à peine praticable, nous avons fait le choix de la beauté plutôt que celui de la rentabilité. Ce qui nous a déterminé, c’est le beau paysage, le silence, la beauté de la nature. Ça, ça ne figure jamais dans un bilan.

Faire sa part

JMLC : Quand j’avais 10 ans, j’ai découvert l’histoire des « femmes de la mer », au Japon et en Corée du sud. Leur travail consistait à pêcher en apnée, lestées par des cailloux, avec juste un masque de protection. Je les ai rencontrées soixante années plus tard. Elles sont devenues vieilles entre temps. Je les ai vues sortir de l’eau, à près de 80 ans. Quand elles sortent de l’eau, elles poussent un cri et il y a quelque chose de prodigieux dans cette union entre ces femmes et la mer.

PR : Un jour, un gigantesque incendie de forêt paniqua les animaux qui y vivaient. Seul, un tout petit colibri jetait inlassablement goutte d’eau après goutte d’eau sur les flammes. Un tatou l’interpella : << Tu ne penses tout de même pas éteindre le feu avec tes gouttes d’eau ! >> << Je sais, dit le colibri, mais moi je fais ma part. >>

JMLC : Mon héros condamné pour crime part au bout de monde pour y trouver la mort, pour se suicider. Mais il n’aura pas à le faire. Il sera pris par la beauté des éléments, par la force de ces femmes de la mer, et par une enfant qui lui apporte une sorte d’illumination de la vie. J’ai écrit cela [Tempête, éditions Gallimard, 2014] parce que quel que soit le degré d’abjection de la société, il y a toujours une rédemption possible.

<< Ça m’est égal, l’endroit où je vais mourir >>

PR : Nous sommes tous un peu prisonniers, pétrifiés dans notre histoire. Ce qu’il faut, c’est transcender cette histoire, nous libérer de cette histoire qui nous englue.

JMLC : Ça m’est assez égal, l’endroit où je vais mourir. Ce n’est pas mon obsession que de construire un mausolée, un tombeau. Parce que je suis plus proche de la fin que du début, je vois ce moment arriver sans aucune crainte. J’avais davantage de craintes de la mort quand j’avais 15 ans. Ce n’est pas important de survivre à sa mort.

PR : Le grand problème, ce n’est pas de savoir ce qui va se passer après la mort, mais s’il existe une vie avant la mort.

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Un voyageur à domicile en quête d'une nouvelle civilisation.