La France post-Covid : une population malade, mais un peuple aux aguets

Photo : Taha Bouhafs

Dans son dernier édito du Monde diplomatique intitulé « Tous des enfants », Serge Halimi établit un diagnostic cruel pour notre pays :

« Confinées, infantilisées, sidérées autant que terrorisées par les chaînes d’information en continu, les populations sont devenues spectatrices, passives, anéanties. Par la force des choses, les rues se sont vidées. Il n’y a plus ni “gilets jaunes” en France, ni Hirak en Algérie, ni manifestations à Beyrouth ou à Barcelone. »

De fait, cette crise du Covid-19 aura mis à l’évidence un autre symptôme frappant notre pays, je veux dire en dehors de l’incompétence et de la sournoiserie de ses dirigeants : nous sommes bien une population malade. Et il n’est pas question ici uniquement d’infection au coronavirus. Cependant, pour étayer son analyse, Serge Halimi s’appuie sur la situation du pays, au moment de la Libération de 1945 et du Conseil National de la Résistance. quand « bien des maquisards français avaient alors conservé leurs armes » et que « dans la rue un peuple attendait l’échappée belle “de la Résistance à la révolution. »

Mais nous n’en sommes pas encore là, pas tout à fait. Notre “guerre” n’est pas terminée. La résistance se compose encore d’une minorité de combattants (les Gilets jaunes, le personnel soignant, les avocats…). Même si le bombardement du Covid-19 les a contraints au confinement dans leurs maquis, rien ne dit qu’ils ne soient pas prêts à reprendre l’action. Quant à la population, si elle reste « sidérée autant que terrorisée », elle n’a plus pour son chef d’opérette les yeux alanguis de l’admiration, du respect ou même de la crainte, bien au contraire. Car pendant cette épisode épidémique, la faiblesse et l’incurie de l’occupant a éclaté aux yeux de tous.

Les autorités ne seront pas plus capables de relancer l’économie capitaliste qu’ils n’ont été capables d’enrayer l’épidémie de Covid-19

Le pays sort groggy de cette épisode épidémique, et l’heure n’est pas encore à la reconstruction. La crise économique et financière a supplanté la crise sanitaire. Les autorités fantoches qui tiennent encore les rênes de l’État ne sont pas plus en mesure d’affronter celle-ci qu’ils n’ont su faire face aux ravages du coronavirus.

Oh bien sûr, ça ne va pas être faute d’essayer de redémarrer leur guimbarde pourri. Mais ils sont aussi nuls en mécanique économique qu’en médecine. Leur insatiable voracité et leur incurable bêtise leur feront une nouvelle fois oublier le B.A.BA d’un moteur économique capitaliste. Bien loin de relancer la consommation, vous pouvez parier qu’ils continueront à piquer dans les caisses tout ce qui reste à détrousser, renforçant le mal plutôt que de l’éloigner. Vous verrez qu’à la fin de l’année, ils se gorgeront de tout ce qu’ils peuvent en dividendes plutôt que de relancer l’investissement.

Face à cette spirale infernale, vous pouvez être sûrs que la « résistance » ne tardera pas à repartir à l’assaut de cette forteresse de pacotille. Quant à la population tétanisée, contraintes par les privations et des souffrances de plus en plus douloureuses, elle sera amenée à pencher du côté de ceux qui lui paraîtront à même de garantir sa pitance. En tout cas de s’éloigner de ceux qui l’en privent aussi grossièrement.

L’âge ingrat, celui de la révolte et de l’indépendance, me semble plus proche qu’il n’y paraît

Comme beaucoup, Serge Halimi me paraît confondre la population – toujours passive et du côté du plus fort, sauf lorsqu’elle sent les vents tourner en faveur d’un autre camp ou que la faim la tenaille – et le peuple qui est la petite minorité active et résistante de cette population.

Ce qui est sûr, c’est que nous allons encore traverser de longues périodes chaotiques, mais pour combien de temps ? Serge Halimi :

« Un jour, nous redeviendrons adultes. Capables de comprendre et d’imposer d’autres choix, y compris économiques et sociaux. Pour le moment, nous prenons des coups sans pouvoir les rendre ; nous parlons dans le vide et nous le savons. D’où ce climat poisseux, cette colère inemployée. Un baril de poudre au milieu d’une pièce, et qui attend son allumette. Après l’enfance, l’âge ingrat… »

Or il se pourrait que l’âge ingrat, celui de la révolte et de l’indépendance, soit beaucoup plus proche que semble le penser Serge Halimi. La traversée des crises, la permanence des terreurs irraisonnées font mûrir les “enfants” que nous sommes. Le temps de la Libération me paraît à moi singulièrement s’approcher. De toute façon, nous ne pouvons qu’y croire, donc que l’espérer.

=> Lire Tous des enfants, par Serge Halimi dans Le Monde diplomatique
=> Photo : des avocats manifestent à Paris le 12 mai 2020 (image : Taha Bouhafs, Là-bas si j’y suis)

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