L’ÉTHIQUE & LA RAISON

De quelques côtés que nous nous tournions, la débandade prend des allures si vertigineuses, que nous avons du mal à nous arrêter sur un de ses soubresauts sans qu’il soit illico balayé par le suivant. Derniers en date, la tentative grotesque, aussitôt avortée, de promotion népotique d’un rejeton présidentiel insignifiant ; puis le relais saisi par le traître de basse cour, ce Besson et son idée tordue aux troubles relents de « grand débat » sur l’identité nationale.

En dehors, la machine continue à se disloquer, avec sa pelletée mensuelle charriant son lot ininterrompu de nouveaux chômeurs (encore 44 900 personnes de plus en septembre), ses entreprises à la ramasse échappant à l’infamant dépôt de bilan que par la commisération contrainte de Chambres de commerce, soucieuses de ne pas assombrir un peu plus les statistiques. ///html

« Les miens, comme tous en France, se trouvent confrontés à l’effondrement, la disqualification, la disparition pure et simple, dans le champ du réel, de tout ce qui structurait la société. La classe politique abdique et se dissout elle-même en votant les pleins pouvoirs à un « chef ». »

/// Ces mots tirés de l’admirable autobiographie de François Maspéro ( »Les Abeilles et la guêpe », éd. du Seuil 2002), s’applique à la France des années 40. Mais qui désormais n’y verrait pas une triste actualité ? L' »identité nationale » à la sauce sarko-bessonienne ne fait-elle pas écho à la « révolution nationale » de feu notre Maréchal-nous-voilà ? __Éthique, raison, des termes vivifiants, rafraîchissants__ Ma petite fille Julia court devant moi, ivre de ses premiers pas. Et j’ai la gorge qui se serre devant le lamentable paysage que nous lui léguons. Vendredi 23 octobre, je suis tombé sur le dernier __[ »Temps qu’il fait »|http://www.pauljorion.com/blog/?p=5707]__ de Paul Jorion, cette chronique vidéo qu’il nous laisse chaque semaine sur son blog. Il y parlait, quasiment sans respirer, d’éthique et de raison. Éthique, raison, sentez-vous combien ces deux tout petits termes sont vivifiants, rafraîchissants ? Comme les mistrals gagnants si chers à notre enfance et au chanteur Renaud. L’éthique, la raison, je mets ma main à couper que chacun en saisit immédiatement le sens et la portée. Ceux qui argumentent, contestent, pinaillent à n’en plus finir sur ces deux vocables, cherchent juste à les contourner, à les mettre au service de leurs propres intérêts, à les cadenasser. Il faut tenir à distance ces dangereux individus et leurs mentors. Ce qui caractérise l’espèce humaine, c’est sa capacité (parfois) à brider sa sauvagerie naturelle de conquérante prédatrice par les filtres de l’éthique et de la raison. Ceux-ci sont aujourd’hui en charpies. __Le désespérant édito de Joffrin dans Libération : « La nation, parlons-en »__ Nous savons tous confusément que plus rien désormais ne viendra des sommets consacrés. Ni de ses opposants institutionnels mollement déclarés (titre de l’éditorial de Laurent Joffrin dans Libération du 27 octobre :  »<< La nation, parlons-en >> » ; suivi immédiatement d’un désespérant :  »<< Faut-il laisser à la droite le monopole du débat ? >> ») Les « sommets » et leurs satellites onctueux sont définitivement emportés par les vagues de l’hébétude et de la stupéfaction. Chacun d’entre nous va donc se retrouver face à lui-même et à sa conscience. D’elle seule et de son obstiné comportement au quotidien peut sortir ces deux petites flammes d’éthique et de raison qui nous font tant défaut depuis que nous avons plongé du côté des ténèbres et de la honte. L’éthique & la raison (avec ce « & » pour signer leur indéfectible union) ne sont pas seulement de grandes idées à la discrétion des penseurs et des philosophes. Mais des armes de poing à dégainer au jour le jour contre la bêtise et l’ignominieux. __« Quand tout est dévasté et que pourtant… »__ L’aurore salvatrice à laquelle nous aspirons ne peut éclore que par leur mise en capillarité progressive avec notre voisinage. ///html

― Comment cela s’appelle-t-il, quand tout est dévasté et que pourtant…
― Un très beau nom, femme Narsès : cela s’appelle l’aurore. »
(Giraudoux, dernière réplique d’Électre, cité par François Maspéro)

/// Espoir ténu, fragile. Mais trouvez m’en un autre ! Je termine ces quelques lignes étranglées de colère en laissant la parole à l’ami Paul Jorion. 13 minutes 41 secondes d’air frais. ///html

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Un voyageur à domicile en quête d'une nouvelle civilisation.