L’Éducation Nationale en pleine confusion

Cette année, les élèves qui rentreront en classe de seconde au lycée auront eu une veine inouïe : leurs « nouveaux » programmes, viennent tout juste d’être fébrilement publiés au Journal officiel, in extremis, le 29 avril. Quelques tout petits mois avant la prochaine rentrée fatidique de septembre


L’an passé, leurs aînés du même niveau, n’avaient eu que le programme de maths à se mettre sous la dent. En catastrophe.

Des programmes chaotiques et de plus en plus tardifs

  • Lycées : des manuels scolaires publiés in extremis

Bien sûr, nos chers nouveaux lycéens n’auront pas la moindre chance de disposer d’outils pédagogiques adéquats et satisfaisants pour accompagner leur cursus. Faire des manuels scolaires convenables en quelques semaines relève, pour les éditeurs spécialisés en ce domaine, du pari tout bonnement stupide.

Ceux-là ont d’ailleurs été contraints de retarder leurs parutions, ficelées à la hâte, à la rentrée de septembre. Et non en mai comme c’est l’usage pour que les enseignants puissent en prendre connaissance et préparer leurs cours.

  • Primaire : la division abordée dès la fin du CP

Accident programmatique isolé ? Que nenni ! En primaire, d’autres Diafoirus pédagogiques, soucieux des performances de nos marmots, ont cru bon d’avancer de trois ans l’étude de la division. Depuis 2008, celle-ci doit être abordée dès la fin du cours préparatoire, et maîtrisée durant le CE1. Objectif parfaitement irréalisable et irréalisé, mais qu’importe la réalité quand seule compte l’illusion.

  • Lycées professionnels : le BEP supprimé

Rappelons également les soubresauts chaotiques qui accompagnent l’interminable réforme ratatouille des lycées professionnels. Suppression des BEP et installation aux forceps des bacs professionnels en trois ans. Soit, plus prosaïquement, deux années d’études sucrées pour les traditionnels élèves « en situation d’échec » de l’Éducation nationale.

Bérézina à la grecque sur les budgets

Beaucoup relèveront à juste titre que ces réformes à l’emporte-pièce sont souvent menées sous la pression féroce de contraintes budgétaires draconiennes. C’est peu de le dire et on ne compte déjà plus les ravages causés par les suppressions à la hache de classes et d’effectifs professoraux. Les conséquences :

  1. des classes surchargées
  2. des enseignants absents non remplacés
  3. des appels pathétiques du ministère de tutelle au renfort de retraités ou d’étudiants non formés.

Compte tenu de la situation calamiteuse des caisses publiques, celles de l’État en premier lieu, la rentrée de septembre prochain s’annonce sous les auspices tristounets d’une austérité à la grecque. Deux exemples :

  • Les crédits de fonctionnement attribués annuellement aux collèges via les Conseils généraux viennent d’être diminués d’au moins 30%. Et pour certains départements (le Calvados, par exemple), versés en partie seulement, sans garantie sur le montant, le moment ou même le versement de la seconde partie.
  • Autre exemple symptomatique sur la multiplication de ces défauts de paiement, plusieurs milliers d’enseignants ayant corrigé les épreuves 2009 du BTS n’ont toujours pas été défrayés, ni indemnisés de leurs frais de déplacement (jusqu’à 1500 euros). Au point de se mettre en grève de l’épreuve 2010.

Mais il serait abusif, je crois, d’attribuer ces multiples errements aux seuls problèmes de gros sous. L’affaire paraît bien plus grave, le mal bien plus profond et enraciné.

Le système a-t-il atteint son seuil d’incompétence ?

Comme si ces soubresauts fébriles dans les changements de programmes étaient le signe que la collectivité éducative avait soudain atteint son seuil d’incompétence selon l’inaltérable principe de Peter.

Comme si, après des années de pédagogisme pompeux où l’élève devait être mis au centre des savoirs, mais où l’on se piqua surtout de mots plus ou moins abscons (ah, notre chère grammaire muée en pédants « outils raisonnés de la langue » ! ).

Comme si nous nous retrouvions soudain désarçonnés par l’impuissance de notre machinerie à transformer nos chères têtes blondes en têtes bien faites. Non pas que les leur fussent si mal faites… mais elles ne l’étaient pas comme nous le voulions !

Comme si nous cédions comme insectes affolés à des convulsions sans queue ni tête, allant :

  • de régressions rétrogrades (c’est le retour de l’antique méthode syllabique pour l’apprentissage de la lecture, déjà rayée des tablettes) ;
  • en tentatives hasardeuses, sur les rythmes scolaires, par exemple ;
  • et expérimentations trop précipitées pour aboutir, comme le test sur les après-midi sportives mis en place dès la prochaine rentrée.

J’emploie ici à dessein la première personne du pluriel, car je pense que c’est bien la collectivité éducative dans son ensemble qui est concernée. Parents d’élèves compris, eux qui, désemparés par les incertitudes futures liées à la crise, pressent leurs rejetons comme citrons.

C’est que la Grande Crise actuelle, madame, monsieur, ne touche pas que les finances ou l’économie. Elle meurtrit aussi méchamment les cellules grises.

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Un voyageur à domicile en quête d'une nouvelle civilisation.