L’économie souterraine comme planche de salut populaire

Appelons-la économie « souterraine », ou « parallèle », ou encore, pour les plus pudibonds, économie « informelle ». On lui attribue souvent les raisons quasi exclusives de la crise (la Grèce et ses supposés tricheurs fiscaux). Une étude un peu approfondie montre cependant qu’elle peut être aussi une planche de salut vitale pour les populations précarisées.

Vous avez vu, en Grèce, malgré l’austérité triple ceinture, ils ne meurent pas de faim. Pas sûr non plus qu’ils mangent deux fois moins, en proportion exacte de la baisse de leurs revenus.

C’est que la nature a horreur du vide (d’estomac) et que ce que l’économie officielle leur refuse, les populations vont le chercher dans les marchés parallèles, underground.

Un « marché noir » en plein essor

Regardez bien, mesdames messieurs, le tableau qui va suivre. Il résulte d’une étude menée par l’économiste autrichien F. Schneider sur la part estimée du travail « souterrain » dans les PIB de différents pays européens en 2011 (19 % en moyenne dans l’Union européenne, excusez du peu).

Autriche

8,2

Pays-Bas

9,8

Royaume-Uni

11

France

11

Irlande

12,8

Finlande

13,7

Allemagne

13,7

Danemark

13,8

Suède

14,7

Slovaquie

16

R Tchèque

16,4

Belgique

17,1

Union européenne

19

Espagne

19,2

Portugal

19,4

Italie

20,2

Hongrie

22,8

Grèce

24,3

Pologne

25

Lettonie

26,5

Estonie

28,6

Lituanie

29

Roumanie

29,6

Bulgarie

32,3

Vous n’êtes pas sans remarquer que les pays en apparence les plus filous sont :

  • les pays dits précédemment de l’Est ;
  • les éclopés du sud de la zone euro : Grèce, Italie, Portugal, Espagne…

Alors bien sûr, on peut en conclure avec facilité que cet état de fait résulte d’une culture latine prononcée pour la rapine.

Sauf que le phénomène est encore accentué avec la crise, tendant à prouver que ce qui était considéré comme une cause est de fait une conséquence due à l’instinct de survie. Un quart et plus de l’économie réelle, ce n’est pas rien les gars !

Un épiphénomène économique

Lorsque, il y a bien longtemps, j’étais étudiant en sciences économiques à la faculté d’Assas, un de mes professeurs se plaisait à nous répéter que les larcins, les vols ou les cambriolages ne portaient en rien préjudice à l’économie réelle.

Du fait que leurs produits étaient généralement réinjectés immédiatement dans les circuits de la consommation courante ou des placements financiers.

Et qui plus est faisaient office commode d’instrument de redistribution des revenus. Et de palliatif aux explosions sociales.

En témoigne le commerce illicite des produits de la drogue, entre autres, dans certains de nos quartiers dits sensibles. Ou la prostitution, phénomène honni par les bénis-oui-oui, mais qui n’empêche pas les pouvoirs publics de taxer d’importance les aimables filles (hommes) de joie en se bouchant le nez.

Un acte de résistance populaire vital

De là à considérer le fameux travail au noir et l’économie parallèle comme des actes de résistance populaire, il n’y a qu’un pas que… que oui, je franchirai sans trop de scrupules.

Acte volontaire ou contraint par la précarité galopante, l’économie souterraine tend à pallier les manques criants de l’organisation économique officielle. (Bon, ne cachons pas non plus  le risque d’une récupération par les mafias de tout bord.)

Elle ne handicape en rien le fisc ou l’intérêt public, puisqu’elle ne fait que déplacer le problème. En maintenant peu ou prou le niveau de consommation générale, elle garantit celui des prélèvements fiscaux afférents.

Non, ce qui est insupportable dans l’économie souterraine, c’est qu’elle échappe au contrôle des tenants de l’ordre public dont elle pallie les carences. Et transgresse les abus de pouvoir.

Au-delà d’un simple sport plus ou moins national de la tricherie, c’est en ce sens que l’économie souterraine peut devenir un acte subversif. Et qu’elle apparaît comme une véritable planche de salut populaire, vitale. En même temps qu’une manifestation de désobéissance civile.

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