L’affaiblissement de la République, selon Simone Veil et Michel Rocard

« Halte au feu ! » Telle est l’étonnante adresse de Simone Veil et de Michel Rocard dans le Monde daté du 3 juillet à propos de l’affaire Woerth/Bettencourt. Selon nos deux « sages », les révélations de Mediapart et des autres affaibliraient gravement la République elle-même. Rien moins.

« Mesure-t-on bien les effets dévastateurs du spectacle affligeant qui se donne jour après jour devant l’opinion autour de l’affaire Bettencourt ? Veut-on définitivement démonétiser une parole politique déjà suffisamment dévalorisée, décriée, diminuée ? »

On peut comprendre qu’une telle argumentation soit reprise sans précautions par la cour rapprochée du prince aux abois (car l’affaire Woeth/Bettencourt devient bel et bien désormais une affaire Sarkozy).

Mais qu’ont donc à reprocher aux journalistes de Mediapart et au reste des médias dignes de ce nom, nos deux sommités quasi historiques ?

Des révélations accablantes non remises en cause

Les relations distillées par Mediapart sont d’une précision meurtrière.

  • Personne ne nie l’authenticité des conversations enregistrées par le maître d’hôtel revanchard ;
  • Mme Bettencourt a reconnu la réalité de ses tours de passe-passe financiers au nez et à la barbe d’un fisc bien peu regardant ;
  • M. Woerth s’est empressé d’annoncer lui-même la démission de son épouse d’un poste fort ambigu ;
  • la justice a admis « l’intérêt général » et « légitime » de la publication de tous ces documents ;
  • enfin, l’enquête policière vient de confirmer la réalité des retraits des sommes en liquides tels qu’annoncés par l’ex-comptable de la veuve indélicate.

Depuis quand la révélation d’un crime vaut-elle crime ?

Alors quoi ? À quoi rime cet appel si maladroit de Mme Veil et M. Rocard à une sauvegarde spécieuse des apparences de république, envers et contre toute évidence des faits eux-mêmes. Depuis quand la révélation d’un crime vaut-elle crime ?

Si la République est en danger, ce n’est point du fait des révélations de Mediapart ou de quelques autres, mais bien à cause de l’accumulation des malversations et des crapuleries révélées.

Cet esprit de corps, la défense envers et contre tout, par les plus hautes instances de l’État et de ses représentants les plus éminents, d’une République vérolée par des voyous, a quelque chose de profondément déplaisant et malsain.

Une présomption d’innocence obsolète

Disons-le tout net : devant le faisceau des preuves et des témoignages, les appels pressants des hypocrites à la présomption d’innocence tiennent de la tartuferie et font office de paravents grossiers. Il est des témoignages qui valent largement preuves. Des comportements qui méritent amplement condamnation.

Entre faits avérés, comportements politiquement condamnables et conflits d’intérêts douteux indéniables — << que la loi ait été respectée ne veut pas dire que ces faits sont dignes d’éloge. Acheter 12 000 euros de cigares est aussi légal >>, rappelle Maître Eolas — il est clair que tout ce beau monde si vertueux s’est fourré dans d’évidents sales draps.

Rappelons que cette justice appelée à la rescousse, bouche-en-cœur indignée, par nos importants, vient de condamner quelques jeunes gens de Villiers-le-Bel sur la seul foi de témoins sous X n’ayant même osé se présenter devant le tribunal… et qui plus est grassement rémunérés pour leurs témoignages !

La défense de la forme ne peut prévaloir sur la qualité du fond

A minima, les incriminés de l’affaire Sarkozy méritent sans détour une sévère mise en examen ou au mieux à l’écart. Ils n’ont strictement rien à faire dans les postes ou les fonctions qui sont aujourd’hui les leurs, président de la République bafouée compris.

N’en déplaise à Mme Veil et M. Rocard, la défense de la République impose de couper les branches condamnables ou éthiquement douteuses qui la mettent en péril. Elle passe d’abord par la qualité de ceux qui la représente.

Elle ne peut se contenter d’un sauvetage de pure convenance de la forme, au mépris d’un fond calamiteux.

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Un voyageur à domicile en quête d'une nouvelle civilisation.